Chatterton de Vigny

La semaine dernière, je vous proposais de deviner l’origine d’une citation résumant une pièce de théâtre. Cette citation, je peux à présent vous le révéler, provient de la préface de Chatterton de Vigny.

Cette pièce de 1835 est un drame romantique. Je l’avais choisie pour illustrer mon cours sur les « problématiques du théâtre et de la théâtralité », pour changer un peu de Lorenzaccio souvent enseigné au lycée.

Alfred de Vigny, figure singulière du romantisme, n’a écrit qu’un petit nombre de pièces, mais elles comptent parmi les plus marquantes du théâtre romantique. Dans Chatterton (1835), il explore la solitude et l’incompréhension du poète dans une société dominée par l’argent, ce qui en fait un manifeste du « mal du siècle ». Admirateur de Shakespeare, Vigny rompt avec les règles classiques et mêle tragique et prosaïsme, annonçant un théâtre plus libre et plus moderne.

Une action qui se résume en une phrase

Il suffit donc d’une seule phrase (celle que je citais) pour résumer la pièce de Chatterton : « C’est l’histoire d’un homme qui a écrit une lettre le matin, et qui attend la réponse jusqu’au soir ; elle arrive, et le tue. » Autant dire que ce n’est pas tant l’action en elle-même qui importe, que ce qu’elle implique en termes de sentiments, de tension, de doutes, de paroles…

Ce résumé volontairement dépouillé met en évidence la quasi-absence d’action au sens strict, mais aussi le véritable enjeu de la pièce : non pas ce qui se passe, mais ce qui se vit. Tout l’intérêt réside dans la lente montée de l’attente, dans l’alternance de l’espoir et du découragement, dans les conversations qui révèlent l’âme tourmentée de Chatterton et la dureté d’un monde qui n’a pas de place pour lui. Ce théâtre de la tension intérieure fait de l’attente un espace dramatique à part entière, où les gestes sont rares mais les émotions intenses, où le temps qui passe devient un personnage invisible, implacable et fatal.

Qui était Thomas Chatterton ?

Ce Chatterton qui donne son nom à la pièce n’a rien à voir avec l’inventeur du ruban adhésif isolant. C’est un homme qui a réellement existé, anglais lui aussi, mais c’était un poète du XVIIIe siècle, dont le destin tragique (il s’est suicidé à 17 ans) a inspiré Vigny.

Thomas Chatterton (1752–1770) était un jeune poète anglais, souvent considéré comme un précurseur du romantisme. Orphelin très tôt, il montra dès son adolescence un talent exceptionnel pour la poésie et la création de faux manuscrits médiévaux, qu’il présenta comme authentiques. Rejeté par la société et criblé de dettes, il sombra dans la misère et le désespoir. À seulement 17 ans, il mit fin à ses jours, devenant ainsi un symbole tragique du génie incompris et du mal du siècle.

Choisir Thomas Chatterton, un poète anglais du XVIIIe siècle, comme sujet dramatique marque une rupture audacieuse avec les conventions du théâtre classique, qui privilégiait les figures et récits de l’Antiquité et de la mythologie gréco-latine. Ce choix traduit un tournant moderne : il s’agit de porter sur scène des personnages contemporains, ou presque, avec leurs dilemmes psychologiques, leurs conflits sociaux et leur humanité complexe. En s’éloignant des héros légendaires et des intrigues idéalisées, le théâtre romantique, à travers ce genre de sujet, explore la réalité sensible, les tourments individuels et les enjeux moraux de son temps, ouvrant la voie à un théâtre plus proche de la vie et des passions modernes.


Image d’en-tête : Vigny par Maurin (Wikipédia / Domaine public)


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2 commentaires sur « Chatterton de Vigny »

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