Raconter ces deux journées dans un même article. L’Ariane et Aiglun. Le quartier densément peuplé, et le village du moyen pays, à environ 700 mètres d’altitude. Les barres d’immeubles, et les parois montagneuses. Le Festival Poët Poët replace la poésie au coeur de nos vies. Dans la ville ou dans les montagnes, elle est chez elle, pour peu qu’on l’y invite.
Aurore dans le parc désert
Samedi 25 mars, 8h25. J’arrive au square Lécuyer, dans le quartier de l’Ariane, chargé de la réception de la Petite Maison de Poësie. À ma grande surprise, celle-ci est déjà installée. Au bon endroit, heureusement. Un parallèlépipède blanc et noir, posé sur le gazon, à proximité des structures pour enfants. L’air encore frais du matin est particulièrement limpide. Personne dans le parc. La ville est encore endormie. Même les voitures sont peu nombreuses à défiler sur les avenues attenantes. De temps en temps une personne âgée avec un chien.
J’ai le temps d’aller chercher un petit déjeuner avant de tout déballer. Je trouve sur mon téléphone l’adresse d’un café pas trop éloigné. Je me mets en route, et quelques minutes plus tard, l’enseigne d’un Aldi attire mon attention. J’entre. Pas grand-monde dans le petit supermarché, mais il y a quand même un peu de queue à la caisse. J’achète quelques pains au chocolat.


De retour au parc Lécuyer, je constate que Lo Moulis est arrivée. La poétesse et plasticienne a eu la même idée que moi : elle me propose un pain au chocolat. Nous discutons quelques minutes sur un banc au soleil. Rapidement, Rafael nous rejoint. Nous commençons à installer le matériel. Le parc se peuple peu à peu. Un peu plus tard, arrivent progressivement Tristan, Frédéric, Morgane, Sabine et James Noël, le parrain de l’édition 2023 du Festival Poët Poët.
Des centaines d’enfants ravis
Bien vite, les enfants s’emparent les craies mises à leur disposition. Les plus jeunes font des dessins. J’explique le projet à ceux qui savent écrire. Je leur demande d’écrire des mots que leur évoque la poésie.
Pendant ce temps-là, nous continuons d’installer le matériel. Lo Moulis s’occupe de l’intérieur de la Petite Maison : un univers monochrome blanc, un vieux cadre de tableau ou de miroir, des bougies électriques… Un univers doux et feutré, dans la pénombre, en contraste avec la lumière vive du soleil à l’extérieur. Tristan attache les photos prises par les élèves de l’école René Cassin de l’Ariane sur des grilles d’exposition. Nous sortons les transats, en les disposant d’abord tout près de la Petite Maison pour pouvoir mieux les surveiller, puis en les plaçant à l’ombre des arbres du parc. Quelques personnes, essentiellement des enfants, s’y installent. Nous leur murmurons des poèmes à l’oreille.
14h00. La Petite Maison de Poësie ouvre ses portes. Bien vite, les enfants font la queue devant l’entrée. On ne peut entrer que par petits groupes de trois, en laissant ses chaussures à l’entrée. Il faut gérer cette foule qui s’impatiente. Nous les faisons patienter en les installant dans les transats ou en leur donnant des craies. À l’intérieur, Lo Moulis ne chôme pas.


Ensuite, nous installons ampli et micro un peu plus loin, à l’ombre des arbres. Carte blanche à James Noël. Le poète haïtien livre quelques poèmes, mais invite aussi les enfants à parler dans le micro. La performance se transforme en scène ouverte. Les enfants sont ravis. Certains récitent poèmes et comptines appris à l’école. D’autres ont parfois d’étonnantes fulgurances improvisées. James Noël et Sabine semblent se plaire dans ce numéro imprévu de poètes-animateurs.


16h00. Vient le temps où il faut commencer à remballer le matériel. Certains enfants voient cela d’un mauvais oeil. Ils comprennent vite que notre présence n’était qu’éphémère, et que la parenthèse d’évasion au pays de la poésie allait se refermer. Aucun n’a été violent, mais nous sentions qu’il fallait faire attention. Cela n’a été d’abord que quelques « coicoubeh », ce mot à la mode chez les jeunes et qui ne veut rien dire, puis certains ont été plus insolents, frappant sur la Petite Maison pour déranger leurs derniers occupants. Comment leur en vouloir ?



Direction Aiglun
17h00. Nous sommes épuisés après cette journée auprès d’un public bien plus nombreux que ce que j’avais imaginé. Une fois le matériel chargé dans les voitures, nous prenons la route d’Aiglun. Dans ma voiture, je transporte Tristan et Morgane. Je prends l’autoroute, la RN202 bis, puis la vallée de l’Estéron. Gillette, Roquesteron, Pierrefeu, Sigale, puis enfin Aiglun. Pendant le trajet, je suis frappé par la sécheresse bien visible dans le paysage. Les cours d’eau sont presque à sec. Le sol est sableux. Un peu avant 19h, nous arrivons au Pigeonnier, où nous attendent Hoda, membre du PoëtBuro, et Sylvain, qui eux aussi n’ont pas chômé. La table du salon est recouverte de brochettes apéritives et de pommes de terre épluchées. Je suis un peu honteux de ne pas proposer mon aide tout de suite, mais je suis épuisé. Je prends le temps de boire un peu, de recueillir le sentiment de James Noël à propos de cette folle journée. Et puis j’aide à mon tour à confectionner les brochettes de concombres et de saucissons. Avec Morgane et Sabine, nous formons une belle équipe.


Puis vient le temps du repas partagé autour d’une délicieuse soupe au pistou. Entre le fromage et le dessert, arrive Patrick Quillier, le maître de ces lieux, poète et professeur émérite, accompagné par son invitée Evangelina Velasquez, poétesse mexicaine. Tous deux s’étaient rendus à un autre Printemps des Poètes. Dans la soirée, Patrick nous montre avec fierté l’exemplaire de son nouveau livre qu’il a reçu, le premier volume d’une épopée que j’ai hâte de lire et de vous présenter. Peu après, tombant de fatigue, je m’écroule de sommeil, heureux à l’idée de la nouvelle journée de festivités poétiques qui s’annonce.


La Popote des Poët Poët
Dimanche 26 mars, pour le dernier jour de festival, les Journées Poët Poët s’exportent à Aiglun. Une idée qui a du sens. D’abord parce qu’il est important de faire résonner les mots de poésie ailleurs que là où ils sont attendus : pas seulement dans les bibliothèques et librairies niçoises, mais aussi dans les quartiers populaires, et, donc, dans l’arrière-pays. C’est aussi l’occasion de prendre l’air, de donner à la poésie l’inspiration de la nature. Beaucoup de convives ont dit avoir apprécié le charme particulier du village d’Aiglun. Et l’idée était de terminer, façon Astérix, par un grand banquet : la Popote des Poët Poët.
Dès 10 h, nous nous affairons sous les Halles du village. Il faut installer les tables, amener la nourriture. Je fais plusieurs aller-retours en chargeant du matériel dans ma voiture. Le vent nous impose de modifier la configuration imaginée au dernier moment, et nous changeons toute la disposition pour être plus à l’abri.


À 12 heures arrivent les premiers convives. Au menu, des temps poétiques qui alternent avec les différentes phases du repas. En amuse-gueules, c’est l’apéro du PoëtBuro. Frédéric Laison lit avec émotion un poème d’un de ses amis récemment décédé. Tristan Blumel et Sabine Venaruzzo proposent un duo très applaudi. Patrick Quillier et la poétesse mexicaine Evangelina Velasquez prennent ensuite le relais. J’ai ensuite le bonheur de partager avec mon amie Murielle Gnutti une lecture à deux voix de mon poème « Être humain ». À chaque fois, un petit coup de clochette annonce l’arrivée d’un poème. Entre les lectures, un groupe de deux musiciens occupe la scène.

Le plat de résistance, c’est bien sûr James Noël, qui nous régale de poèmes notamment extraits du Pyromane adolescent. Notre parrain a enchaîné plusieurs poèmes pour le plus grand plaisir de tous.
Pour le fromage, j’ai en la joie de partager avec mon amie Christelle Ceccon une lecture d’un de mes poèmes, « La mano », en italien. Evangelina Velasquez et James Noël interviennent à nouveau.



Et ce que je considère comme le dessert de ce banquet, tant la performance a été incroyable, même si je ne suis pas sûr qu’elle ait eu lieu en dernier, c’est l’hommage de Sabine Venaruzzo et Tristan Blumel à un journaliste injustement emprisonné. Pour l’occasion, Sabine avait prévu une cage dans laquelle elle s’est enfermée un peu avant le début proprement dit de la performance. La poétesse et comédienne est d’abord restée seule et silencieuse, le visage dissimulé. Puis Tristan s’est mis à tourner autour de la cage, dans une déambulation d’abord silencieuse puis incarnée par un texte puissant. Enfin, Sabine sort de la cage, exprime par des gestes de plus en plus amples qu’elle a recouvré la liberté, et déclame à son tour son texte. Le poème est extrait du recueil Et maintenant, j’attends de Sabine Venaruzzo. J’ai filmé une bonne partie de cette performance incroyable et, dès que j’aurai le temps de m’en occuper, je ferai le montage et publierai la vidéo sur la chaîne Youtube de ce blog.


Ces mets poétiques étaient accompagnés de plats culinaires tout aussi délicieux. Après les brochettes apéritives, nous avons eu droit en entrée à une délicieuse soupe au pistou, puis à un poulet à la provençale cuisiné avec du thym et des olives locaux. Le repas s’est terminé avec un abondant buffet de gâteaux. Un grand merci et bravo à Hoda et à Sylvain, pour ce travail titanesque.
La journée s’est terminée avec une « sieste poétique », en comité réduit car un certain nombre de convives devait redescendre à Nice. Installés dans des transats, nous écoutons des extraits de « La voix est libre », anthologie sonore de poètes de tous âges, depuis les enfants des écoles jusqu’aux résidents de l’EHPAD de Cimiez, en passant par les voix de poètes confirmés. Parmi les sons diffusés, il y avait le travail des élèves de l’école du Soleil, à Roquestéron, dont certains étaient présents sur place pour écouter.


C’était vraiment la clôture idéale d’un festival riche en émotions. Ce banquet partagé s’inscrivait parfaitement dans l’esprit de convivialité et d’humanité des Journées Poët Poët, tout en demeurant un vrai moment de poésie. J’ai été personnellement très touché par la performance de Sabine et Tristan, ainsi que par les extraits du nouveau livre de Patrick Quillier. J’ai aussi été très heureux de pouvais partager deux de mes poèmes avec mes amies Christelle et Murielle. Cela aura été dix jours très intenses et très riches en émotions, et je suis déjà gonflé à bloc pour l’édition 2024 !


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