Dame rouge en cage

C’était en mars 2023. Le dimanche 26 mars, pour être exact, jour du passage à l’heure d’été, mais aussi et surtout journée de clôture du Festival Poët Poët. Ce jour-là, le festival s’exportait dans le beau village d’Aiglun, dans la vallée de l’Estéron, pour une dernière journée en poésie, sous les halles. Un grand banquet avait été organisé, avec de la nourriture terrestre et des mets poétiques. En apéritif, des lectures de tout le PoëtBuro. En plat de résistance, le poète haïtien James Noël. Et en dessert, une incroyable performance d’une dame rouge en cage. Voyez plutôt…

Elle s’est isolée un peu avant le début de sa performance, pour réapparaître, tout de rouge vêtue, dans une cage que personne, sans doute, n’avait vraiment remarquée, mais qui était là depuis le début. Elle a commencé par se tenir immobile, presque prostrée, pendant que l’attention du public était centrée sur d’autres poètes qui déclamaient leurs poèmes sous les halles. Elle, c’est Sabine Venaruzzo, poète, directrice artistique du Festival Poët Poët, femme engagée.

Et puis, alors que la poète mexicaine Evangelina Velasquez termine de réciter son poème en espagnol, Tristan Blumel se met à tourner autour de la cage, comme un satellite en orbite. Lui est vêtu de vert, couleur complémentaire. Silencieusement, d’abord, il poursuit cette marche intrigante. Et soudain, il se met à déclamer des vers, qui sont ceux d’un poème de Sabine Venaruzzo intitulé « Ça ».

"Ça flamme là-dedans
Ça colle très fort entre les os
D'un seul bloc
Assis - debout - couché"

Chacune des quatre strophes du poème se termine par ce rythme ternaire d’adverbes « assis, debout, couché » qui englobe la condition humaine tout en la réduisant à des positions élémentaires, celles qu’on impose aux animaux dressés. Le pronom « ça », omniprésent dans le poème, traduit la réification de l’être humain. On comprend donc qu’il s’agit d’un poème engagé, d’une défense de l’humain contre tout ce qui le nie. Vous retrouverez ce poème à la page 86 du recueil Et maintenant, j’attends de Sabine Venaruzzo, dans la version bilingue pare aux éditions de l’Aigrette.

Petit à petit, la dame en rouge s’anime dans sa cage. Le visage recouvert par un bonnet de laine, elle demeure anonyme, un symbole plus qu’une personne. Elle porte des gants de boxe, du même rouge vif que son manteau. Couleur de révolte et de sang.

Et puis, la voici qui parvient à s’évader de sa cage. Elle sort, sans un mot, et ses mouvements de plus en plus amples traduisent sa liberté recouvrée. Levant les bras en signe de victoire, elle témoigne de ce bonheur d’être libre dont nous n’avons pas toujours conscience. Cette performance nous le rappelle. Elle est dédiée à un journaliste injustement emprisonné.

Ce journaliste, c’est Dawit Isaak, un journaliste indépendant de nationalité suédoise et érythréenne.

Nous serons tous l'humanité sur la carte des possibles
comme grains de sable portés dans le vent

(Ibid., p. 172)


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