Présenter « Concordance » à Aiglun

Dire, d’abord, merci. Pour l’invitation, pour le partage, pour l’amitié. Sur ces flancs de la vallée de l’Estéron. Dans la circulation de la poésie. Merci pour la générosité, pour l’écoute, la liberté. Merci pour cette invitation à présenter mes poèmes, ces quatre-vingt-huit pages de vers et de prose, publiées en novembre 2022, en quête de concordance. Un chemin en quête d’une éclaircie, en quête de sérénité.

ÉCLAIRCIE

Il fut, un jour, question d’une éclaircie. D’une entrouverture dans la trame grise du monde. Quelque chose, là, allait apparaître. Ne demandait qu’à éclore. Se dessinait peu à peu. On avait peine à y croire. C’était pourtant là, comme l’évidence d’un matin calme, comme la pureté d’un soir d’été, comme la perfection d’une nuit étoilée. Comme une voix s’apprêtant à percer le silence. Quelque chose comme l’ébauche d’une concordance.

Tu ne regardes plus que du côté de la lumière. À la recherche de l’éclaircie. Tu guettes la moindre lueur d’espoir. Tu en cherches les signes les plus ténus. Tu voudrais que ton poème ne soit que cela, que l’annonce d’une bonne nouvelle, qu’une parole d’amour et de réconfort, qui dissolve la tristesse du monde, qui tarisse les larmes de la femme et de l’homme, qui sèche les pleurs de l’enfant. Tu rêverais que ta parole ait ce pouvoir-là, qu’à son écoute les combattants déposent les armes, comme réveillés soudain, libérés de la rage qui les possédait. Comme s’il suffisait de le dire, comme s’il suffisait d’en faire un poème. Qu’une immense vague d’amour et de joie déferle sur le monde, qu’elle répande son baume sur les choses, qu’elle irradie la paix et la confiance. Comme une onde bienfaitrice se propagerait, portant le réconfort, la sécurité, le bien-être et la sérénité.

NAISSANCE DE LA JOIE

Il s’agissait peut-être d’une naissance. Dans les mots, dans leur mouvement, dans leur rythme. Concordance est cette joie vivante, cette joie pleine, ce sourire discret du monde. Une éclosion permanente, une fontaine intarissable, un équilibre dynamique, une aube claire, un monde de joie.

Il faut imaginer l’enfant assis, en tailleur sur un rocher, face à une étendue d’eau dont on ne saurait dire s’il s’agit d’un lac ou de la mer elle-même. Il en contemple les menues irisations, les imperceptibles reflets, les nuances changeantes dans le creux des vagues. Il laisse le vent caresser son visage et ébourrifer sa chevelure. Fermant les yeux, il se laisse traverser par ce paysage, effaçant peu à peu les frontières entre son corps et le monde, et c’est comme s’il devenait aussi vaste que la mer, aussi solide que la terre, aussi léger que l’air, ne faisant plus qu’un avec ce qui l’entoure, comme s’il n’y avait plus que de l’un. Il jouirait alors d’une sérénité qui ne serait pas seulement un grand calme, mais une immense joie, un immense amour qu’il voudrait étendre jusqu’aux confins de l’univers.

Il t’a toujours semblé confusément que les femmes étaient plus proches de cette concordance que les hommes. Qu’elles la portaient en elles, comme un enfant dans leur ventre, comme un noeud dans leurs cheveux, comme un sourire sur leur visage. Elles n’en font pas tout un mystère. Elles n’ont pas besoin de mots compliqués pour en parler. C’est chez elles parfaitement inné et naturel : ce sont des mères, au moins potentiellement si ce n’est effectivement. Elles ont ce pouvoir de donner la vie. Relisant aujourd’hui le poème intitulé « femme », je pense à ma soeur qui est, depuis, devenue une mère. Puisse-t-elle savoir combien je l’admire.

VICTOIRE

Tu écris pour dire que tu n’as plus peur. Plus vraiment. Bien sûr, c’est là, ça reste présent, susceptible de resurgir à tout moment, comme une boule au fond du ventre, comme un noeud d’angoisse dans tes viscères. Mais tu ne te sens plus aussi fragile. Tu sais faire avec. Tu ne la laisses plus décider. Lorsqu’elle surgit, tu la vois, tu le sais, tu respires et tu avances. Mais cela arrive de moins en moins souvent. À présent, tu rattrapes le temps perdu. Tu profites du peu de jeunesse qu’il te reste. Tu t’élances vers le monde, vers les autres, vers la vie. Tu es prêt. Prêt à accueillir l’amour lorsqu’il sonnera à ta porte. Prêt aussi à endurer les désillusions, les ratés, les couacs de la vie, en les prenant non plus comme des échecs personnels, comme des tragédies intimes, mais comme des circonstances à accepter, des leçons à recevoir. Tu avances avec confiance, et cela convient, conservant devant toi ton enfance d’embruns et de vagues.

AMOUR

Tu penses parfois à lui. Tu te demandes quels seront ses traits, quels seront son âge, son métier, ses passions. Tu as imaginé, dans l’un de tes poèmes, une scène idéale de première rencontre. Écrite, en son temps, au féminin, à l’époque où tu n’assumais pas cette évidence, où tu craignais le qu’en-dira-t-on, les on-dit et les messes basses. Tu t’es, depuis, libéré de tout ce poids inutile. C’est comme si de très lourdes chaînes avaient soudain disparu. Il t’est arrivé de regretter, parfois, que ça ait tant pris de temps. C’est ainsi. On t’en avait parlé comme d’un problème, comme une source d’ennuis, comme une nécessité de vigilance et de méfiance. Alors, oui, bien sûr. Mais le soulagement l’emporte. C’est avec joie que j’ai rejoint la parade sauvage.

PAYSAGES

Concordance, aussi, des paysages, proches ou lointains. Méditations face aux cimes du Mercantour et des préalpes du Haut-Var. Entrevision d’une ruine. Une arche d’église tendue au-dessus du vide pour on ne sait quelle nouvelle alliance. Contemplation des sommets, à ces hauteurs où l’on s’allège et se simplifie.

Et retours constants du côté de la mer, cette compagne de toujours, à laquelle tu pardonnes ses fureurs, ses humeurs changeantes et ses caprices. Elle te demeure fidèle, répétant, comme pour toi seul, son éternel ballet de gerbes et d’écume. Elle accompagne tes promenades, elle assiste à tes rêveries, elle connaît tes doutes et tes désirs. Elle a toujours été là, depuis le début, comme une présence discrète mais indispensable dans le scénario de ta vie.

PAIX

C’est l’histoire d’une conquête de la sérénité. Concordance, comme l’accord d’une danse, la joie d’une transe, le sourire d’une confiance, la recherche d’une voie, l’espoir d’une joie, la paix du silence… C’est l’histoire d’une victoire.

Écoutons. Soyons disponibles, attentifs, le coeur et l’esprit ouverts, prêts à entendre les cris de joie et de colère, les mouvements de liesse comme de détresse, les murmures de tristesse et d’espoir. Et qu’au-dessus de tout cela, résonne une grande note, grave et profonde, comme en arrière plan, une seule note continue qui balaierait toute inquiétude, qui surplomberait les doutes et les ressentiments. Comme un épais manteau de neige qui viendrait tout recouvrir pour que chaque chose, bonne ou mauvaise, fût dotée d’une égale blancheur. Et l’oiseau surplombant le monde disséminerait dans la neige les quatre lettres du mot « paix », afin qu’elles germent au printemps. Peu à peu, alors, progressivement, par paliers successifs, la parole retournerait au silence. Et cela serait paix, et cela serait amour, et cela serait joie.

Je vous remercie.

Mes amis Patrick Quillier, professeur émérite de littérature comparée à l’Université de Nice, et Hoda Hili, poète et safranière, organisent dans le village d’Aiglun, avec le soutien de la municipalité et de l’association Le Hangar, des Rencontres de parole placées sous le signe de la poésie, du partage et de l’amitié. Ils m’ont invité à y présenter mon recueil de poèmes, paru en novembre dernier en impression à la demande sous le titre de Concordance. Le texte ci-dessus correspond à la présentation que je ferai. J’ai voulu m’écarter résolument du ton trop scolaire de l’explication de texte, tout en explicitant ce que j’ai voulu dire par ce titre de Concordance, en tissant des liens entre les poèmes choisis par des textes qui fussent encore des poèmes. J’espère que cette présentation vous a plu et qu’elle vous donnera envie de découvrir plus en détail ce recueil.


En savoir plus sur Littérature Portes Ouvertes

Abonnez-vous pour recevoir les derniers articles par e-mail.

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.