Connaissez-vous Hervé Micolet ?

Né en 1965 à Lyon, Hervé Micolet a soutenu en l’an 2000 une thèse consacrée au poète contemporain Jacques Réda. Ses recherches l’ont également conduit à s’intéresser au rapport entre le philosophe Gilles Deleuze et les écrivains. Enseignant-chercheur à l’Université de Lyon, il développe depuis les années quatre-vingts une oeuvre poétique marquée notamment par la parution de La Lettre d’Été (1989, prix Kowalski de la ville de Lyon), L’enterrement du siècle (1992, dans la collection blanche des éditions Gallimard), La conférence sur les Étrusques (1994, chez Deyrolle) ou encore Sur un séjour en Grèce (1995, Cheyne). Il travaille désormais à un cycle intitulé Les Cavales, dont un premier volume est paru en 2023.

1. La lettre d’été (1989)

Ce premier livre de Hervé Micolet a été publié alors que le poète avait 24 ans. Cette « lettre », en prose mais en italiques, est découpée en « jours ». Elle s’ouvre sur une évocation de paysage estival et sur cette première mention du destinataire : « Je souhaite écrire des sortes de lettres où tu n’auras longtemps que peu de place. » Lettres de l’absence, de la solitude, du désoeuvrement, donc, dans l’inertie et la vacance de l’été, où le « tu » reste anonyme. Hervé Micolet décrit ce midi où toute chose semble comme figée par le soleil, où l’on se complait dans l’indolence et la paresse, où l’on révasse dans une chambre, en en contemplant les objets immobiles. « J’habite une chambre élémentaire parmi les arbres, et sans cesser jamais de contredire, doutant de la douceur même, je finis par m’irriter des bonheurs de terroir. » Cet été immobile est propice à la contemplation des nuances du paysage, comme pour y déchiffrer des mystères. On y jouit du rien, de la vacance du temps.

"Est-il encore besoin de chercher des arcanes dans le spectacle de la nature, ou faut-il n'aimer que les apparences, et croire à la réalité ? En vérité les faux secrets m'indisposent. Ce paysage n'a pas d'autres affinités avec mon âme que celles que je force. Peu importe. La terre sans boue, les pierres au soir comme des fours éteints depuis peu, un jardin négligé, tout cela me plaît. Je ne fais rien. Je dénombre loin de moi les journées de canicule."

Ces paysages, ils sont fréquemment observés par la fenêtre, encadrés tels un tableau, découpés comme si ce découpage avait un sens, la fenêtre montrant certaines choses et pas d’autres, à l’instar d’un oeil de photographe qui aurait sélectionné un rectangle de nature. Cette contemplation oisive cache peut-être une douleur, une séparation ou un deuil. La fenêtre vient redire « que l’amour n’est plus, que l’étreinte une autre nuit s’est raidie dans un grand froid. Il est difficile de passer sous les fenêtres de quelqu’un qu’on a connu, et qui est mort. » Elle cache peut-être, tout simplement, une angoisse existentielle, baignée dans le calme et la torpeur de l’été.

"Le silence d'un village à midi, l'essor d'une ville - et jusqu'à la souillure des banlieues, des chantiers, des usines - nous attestent, personnes vives en des instants simplifiés. Est-ce là une raison [...] trouvée à nos jours ? Que cherchons-nous, si vraiment nous n'attendons rien d'autre que de belles journées ? Assez ! Nous voulons croire aux biens visibles, nous voulons boire, autant qu'il est possible, à une coupe matérielle. Errer est notre foi. Les paysages sans compassion, la terre désaffectée, le désert tant peuplé où nous sommes, c'est tout ce qu'il reste, et c'est tout ce qu'il faut."

2. L’enterrement du siècle (1992)

Hervé Micolet publie L’enterrement du siècle en 1992 dans la collection blanche des éditions Gallimard. Ce livre de 162 pages rassemble des poèmes en vers libres répartis en deux sections sobrement intitulées « première partie » et « deuxième partie ». Voici un passage où apparaît l’expression qui donne son titre au recueil. Le poète y organise, avec une joyeuse férocité, L’enterrement du siècle :

"Nous serons là pour l'enterrement du siècle.

Il y aura un beau couchant, et une aube un peu capricieuse.
Les humains formeront un cortège de désordre
qui s'avancera au pas des musiques dans les campagnes souillées.
Tout sera confondu comme au coeur des villes."

Le poème intitulé « Vocation du poète » est également très ironique. On n’y trouvera nul éloge du poète inspiré. Nous sommes bien loin de l’image grandiose du poète éclairant l’avenir construite par Hugo dans « Fonction du poète », loin aussi de la comparaison glorieuse au noble albatros de Baudelaire, lequel reste un « géant » même s’il est boiteux. Voici donc que le poète est un « malheureux » aux « épaules tassées » :

"Le poète entre en ses terres, épaules tassées,
comme lâchant la main des autres danseurs macabres.
Le malheureux ! Il abandonne la raison du texte !
Des mythes nouveaux, l'empoigne, la cohue perverse,
la furieuse tirade de l'homme sur la terre !" (p. 146)

On retrouve la même énergie du désespoir, le même désenchantement fin-de-siècle, dans « Le phraseur », où l’éloge de Paris rompt d’emblée avec l’horizon d’attente du lecteur. Ce sont en effet les « fosses communes » que célèbre le poète :

"Ah! Paris! Je pense à toutes tes fosses communes,
à tes cimetières aux grands noms, où les arbres d'hiver ont des gestes
d'une excellente tristesse!" (p. 154)

Et un peu plus loin :

"C'est touchant : développons, il est l'heure, une manière de parabole : l'espèce humaine,
turbulente et sans trop de cervelle,
se lance à l'assaut d'un nouveau siècle
qui dans l'élan claque le compteur du second millénaire.
Je me demande comment tout cela qui vit n'est pas lassé,
comment des forces vives emportent encore avec elles les maladies, les candeurs,
les fâcheries, les accords, les bourrades,
et tant de livres, tant d'oeuvres dans les musées..."
(p. 154)

Le poète erre, désabusé, dans des villes qu’il aime et exècre à la fois, y cherchant un spectacle susceptible d’égayer son désenchantement :

"C'est là que je vais marcher, morne comme les pêcheurs,
ne sachant plus si je rencontre horreur ou beauté,
ne sachant plus si vraiment j'avance dans ma ville, et si c'est bien elle, m'ayant vu naître,
moins grande, moins lourde, moins tapageuse,
qui s'étend là-bas, à la vitesse du songe, contagieuse,
scientifique,
et qui nous vaut au soir, sur le fleuve,
une pâleur du ciel maladive." (p. 10)

3. Cavales, I (2023)

En cette année 2023, trois décennies plus tard donc, Hervé Micolet a fait paraître, aux éditions de la Rumeur libre, un recueil intitulé Cavales, et qui s’annonce comme le premier volet d’un ensemble qui en comportera plusieurs. Ce recueil doit son titre au philosophe présocratique Parménide, comme Hervé Micolet l’a expliqué lors des Rencontres de paroles d’Aiglun. Intéressé par son discours, j’ai acheté ce recueil que je lirai à tête reposée et dont je vous parlerai prochainement. J’espère que les quelques extraits de ses œuvres plus anciennes, que j’ai feuilletées chez Patrick Quillier, vous donneront, comme à moi, l’envie de connaître davantage ce poète lyonnais.


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