Aiglun : Troisième journée

Ce troisième article me permettra de conclure le récit des Rencontres poétiques, organisées par Patrick Quillier et Hoda Hili dans le beau village d’Aiglun début août. Cette troisième journée s’est tenue sous les halles du village, pour une dernière salve de poèmes.

Lectures du matin

Et c’est Hoda Hili qui a ouvert le bal, avec la lecture d’un ensemble intitulé « Marche », une suite de poèmes au sein de son recueil Contre-espaces, qui ont évoqué des lieux que je connais bien : le plateau de Saint-Barnabé, au-dessus de Vence, le Baou des Noirs, dans le même coin, et le chemin du Malvan. Dans un deuxième temps, elle a lu en duo avec François Minod des extraits des Nuits diphoniques, un opuscule poétique paru en Belgique aux éditions Maelström. Hoda Hili les présente comme des poèmes schizoïdes, dédoublés, qui empruntent au récit de rêve.

Hoda Hili et François Minod

Carole Mesrobian a ensuite lu des extraits d’Octobre, un livre co-écrit avec Alain Brissiaud. La lecture s’est faite à deux voix avec Marc Ross.

Carole Mesrobian et Marc Ross

Michaël Glück a ensuite proposé une sélection dans son abondante bibliographie. Il a choisi, comme fil conducteur, le thème de l’exil. Il a lu « Appelez-moi fougère », « Ciel déchiré après la pluie », « Exils/Silex », une réécriture de Bérénice de Racine avec des mots en espagnol, et a terminé avec « Rouges », un hommage à Rimbaud.

Mickaël Glück

Mireille Diaz-Florian a ouvert la deuxième session avec des poèmes extraits de À l’entour. J’ai aimé en particulier un poème écrit en hommage à Philippe Jaccottet. Sa poésie ose affronter l’actualité, avec des poèmes consacrés à Tchernobyl ou encore au Bataclan. Elle a terminé avec un poème intitulé « Nadejda », du nom de l’épouse de Mandelstam.

Mireille Diaz-Florian

Monique Marta a ensuite lu trois poèmes extraits de Sortir du cercle, pour aux éditions Unicité, respectivement intitulés « Les morts », « Mourir » et « Spasme ». Elle a poursuivi avec des textes inédits, une sorte d’épopée du Pacifique, « Cri Vert ».

Monique Marta

La parole aux éditeurs

En début d’après-midi, plusieurs éditeurs ont successivement présenté leur maison d’édition.

Françoise Mingot-Tauran, également connue comme chanteuse sous le nom de Fanfan, est spécialiste de poésie tzigane. Elle dirige les éditions Wallâda, du nom d’une poétesse arabo-andalouse. Elle publie des ouvrages libertaires et non-conformistes. Notamment, et sans caractère exhaustif : de la poésie tzigane, des livres d’Histoire sur les camps de concentration français, des ouvrages de géographie locale, des romans policiers et de science-fiction, et évidemment de la poésie contemporaine, française et étrangère. C’est ainsi Wallâda qui a publié l’anthologie de poésie amérindienne de Béatrice Machet, déjà évoquée dans les colonnes de ce blog à l’occasion du compte-rendu du « Jeudi des mots » qui lui était consacré.

Repas partagé sous la halle

Carole Mesrobian a ensuite présenté les éditions Oxybia. Cette structure associative existe depuis 2005. Carole Mesrobian en a repris les rênes depuis deux ans. Elle emprunte son nom à une tribu ligure qui résistait contre les Romains au-dessus de Grasse. Cette maison publie des coups de coeur, comme la poétesse italienne Alda Merini, le poète belge Philippe Leuckx, l’anthologie Mots de paix et d’espérance recueillie par Marilyne Bertoncini…

Gilbert Casula présente à son tour les éditions Tipaza. Il s’agit d’une maison d’édition associative, à but non lucratif, sur le principe de la micro-édition. Les éditions Tipaza ne reçoivent pas de subventions, d’où un prix du livre légèrement supérieur à ce que peuvent se permettre les mastodontes de l’édition. L’association diffuse et distribue elle-même ses ouvrages. À l’origine, il y a 31 ans, il y avait trois cofondateurs, dont deux ont poursuivi l’aventure. Ils assument la part de subjectivité dans le choix des textes. Le nom de Tipaza vient de Camus, qui a écrit sur les ruines romaines de Tipasa en Algérie. Les éditeurs assument le fait de ne pas avoir suivi d’études d’édition, et de s’être formés sur le tas, notamment avec l’aide de Gérard Pelé, plasticien et professeur à la villa Arson. Les éditions Tipaza tentent de concilier le livre d’artiste (peu d’exemplaires, original, précieux, cher) et l’édition à un tirage plus important mais en conservant une grande attention à l’objet-livre. Elles ont notamment publié des livres qui se déplient, format qui permet de se passer de reliure et qui offre une expérience de lecture singulière.

Andrea Iacovella et Dominique ont ensuite présenté les éditions de La Rumeur Libre, fondées en 2007 sous la forme d’une SARL. Cette fondation répondait à une urgence : un ami éditeur venait de décéder, laissant un nombre important de livres qui n’allaient plus être disponibles. La Rumeur libre a donc commencé par reprendre le flambeau, et à éditer et rééditer les livres de cette première maison. La collection « La Bibliothèque » a permis d’éditer ces livres-là. La Rumeur libre s’est ensuite diversifiée, avec deux collections de poésie, un intérêt pour la question de l’enfance… Le bouleversement lié au COVID a fait prendre conscience aux éditeurs qu’ils auraient, un jour, eux aussi, à passer le flambeau. Les éditions se sont donc plus fermement structurées autour de directeurs de collection. Des mariages avec d’autres maisons d’édition ont eu lieu. La Rumeur Libre dispose désormais d’un catalogue de 1100 titres réunissant plus de 400 auteurs. Les livres sont diffusés auprès de 900 libraires, mais aussi vendus directement lors d’événements tels que des salons, des festivals, etc. Plusieurs auteurs présents lors des rencontres de parole sont édités chez La Rumeur Libre : Hervé Micolet, Michaël Glück, Raphaël Monticelli et Patrick Quillier…

Les éditions L’Amourier, établies à Coaraze dans le moyen-pays niçois, ont présenté 28 ans d’aventures éditoriales. Cette maison fondée en mars 1995 a publié une centaine d’auteurs et envrion 250 titres. Le mot d’ordre ? « Ce qui compte ne se compte pas. » Le nom de l’Amourier est aussi celui du quartier où est établie la maison d’édition, c’est le nom du mûrier qui abrite les vers à soie. Il fut un temps où cette industrie fut florissante ; les amouriers ont aujourd’hui presque tous été remplacés par des oliviers. L’Amourier a publié plusieurs des poètes présents à Aiglun, notamment Michaël Glück et Raphaël Monticelli. Dans les années 2000, une édifice a rejoint l’équipe. Pour fêter les 10 ans de l’Amourier, on a demandé à des poètes d’écrire sur un légume, afin de constituer une anthologie intitulée Le jardin du poète. Les éditions l’Amourier publient beaucoup de poésie, mais aussi des livres sur Blanqui (natif de Puget-Théniers), sur la Commune de Paris, sur la colonisation, sur l’écologie…

Un après-midi en conte et en chansons

La deuxième partie de l’après-midi a été l’occasion d’une nouvelle et dernière salve de poètes.

Marilyne Bertoncini a d’abord lu un conte initiatique intitulé La plume d’ange, publié par Jean-Michel Sananès aux éditions « Chemin de plume ». Ce livre joliment illustré a été écrit dans la pénombre d’un été à Parme. Nous avons été bercés par la voix envoûtante de Marilyne Bertoncini, accompagnée par les interventions musicales de Claudia Christiansen.

Marilyne Bertoncini

En l’absence d’André Ughetto pour cause de maladie, Patrick Quillier et Michaël Glück ont proposé une lecture à deux voix de certains de ses poèmes.

Françoise Mingot-Tauran est ensuite devenue la chanteuse « Fanfan ». Elle a proposé plusieurs chants, a cappella et avec enregistrement. Elle a ainsi rendu hommage au chanteur Gaston Couté, qui à la fin du XIXe siècle était connu pour ses chansons antimilitaristes et anarchistes, parfois en argot ou en patois beauceron.

Françoise Mingot-Tauran

Marc Ross a ensuite proposé une lecture où il n’était pas, cette fois, accompagné par les marionnettes de son épouse. Toute l’attention était ainsi focalisée sur le propos du poète, qui relate le drame d’un exil forcé pendant l’enfance. En effet, le poète est né en Algérie, et sa famille a dû quitter précipitamment le pays pour regagner la France, au moment de l’indépendance. Il était enfant au moment des faits, et il n’a eu le droit d’emporter avec lui qu’une seule affaire. Tout le reste a dû être laissé sur place. Arrivée en France métropolitaine, la famille n’était pas au bout de sa peine, puisque les Français d’Algérie ont été très mal accueillis. Les Français métropolitains supposaient qu’ils avaient tous fait fortune aux colonies, ce qui bien sur n’était pas le cas. Certains maires refusaient de les admettre sur le territoire de leur commune et d’inscrire les enfants dans leurs écoles. On le voit, le récit personnel rejoint la grande Histoire, une histoire encore trop peu évoquée, et dont la mémoire reste douloureuse. C’est donc un livre extrêmement salutaire que celui de Marc Ross, en ce qu’il donne à voir un point de vue singulier sur la guerre d’Algérie.

Le poète Michel Cassir, qui dirige une collection multilingue aux éditions l’Harmattan, a vécu au Mexique. Il propose ainsi une lecture de Huahaca, où il est question de « femmes-déesses » et « d’hommes-éperviers ».

Michel Cassir et Claudia Christiansen

Six heures du soir sonnaient quand Dominique Massaut a pris à son tour la parole. Le poète belge s’est présenté dans ses liens, ses lieux, sa langue. C’est ainsi qu’il a fait lire par Patrick Quillier un poème de Pessoa avant de lire le « rebond » qu’il a écrit sur ce poème. Le texte est pétri de jeux de mots savoureux. J’ai relevé celui de « gourmonde » (gourmand + monde). C’est un texte revendicatif sur les méfaits du consumérisme, sur les conséquences de la mondialisation, sur le chômage. J’ai apprécié également un texte sur le cassoulet, faisant pendant au poème de la veille sur le fromage.

Dominique Massaut

Raphaël Monticelli est intervenu ensuite, mais un appel téléphonique important ne m’a pas permis de l’entendre. J’en suis désolé. Comme je sais qu’il lit assidûment ce blog, j’en profite pour lui adresser ici mes excuses. Sachez que je me rattraperai, car j’ai acquis plusieurs recueils du poète dont je vous dirai tantôt des nouvelles.

Raphaël Monticelli

Emmanuel Godo a ensuite proposé un deuxième parcours dans ses Égarées de Noël. Les premiers poèmes qu’il a lus posent la question du rôle et de la place de la poésie elle-même dans le monde d’aujourd’hui. Ensuite, il a présenté quelques poèmes sur l’importance de l’amitié, des rencontres, pour ne pas perdre espoir. Amitié avec des poètes du passé, comme avec des vivants. Enfin, il a conclu sur la présence encourageante de nos morts. J’ai beaucoup aimé le poème en hommage à Richard Rognet, qui évoque aussi l’image de la défunte mère. De toutes ces lectures, j’ai relevé une phrase : « Si la société est un manteau, alors la poésie est une pièce oubliée dans une poche. »

Emmanuel Godo

Patrick Quillier a rendu hommage à Daniel Biga, le plus américain des poètes niçois, influencé par l’effervescence culturelle qui a entouré mai 1968. J’aime bien ce poète, rencontré il y a quelques années à Mouans-Sartoux, dont j’aime particulièrement Killroy was here et L’Amour d’Amirat, qui évoque un village de l’arrière-pays niçois. Patrick Quillier a déroulé une large banderole où le poème de Daniel Biga était affiché : il s’agit de l’un des panneaux affichés il y a deux ans à Tourrettes-sur-Loup, où plusieurs poètes étaient à l’honneur. Cette lecture était ainsi une occasion de donner une deuxième vie à ces affichages où les passants pouvaient découvrir des poèmes de Daniel Biga, Claude Ber, François HHeusbourg et Patrick Quillier, qui ont tous un certain attachement pour les Alpes-Maritimes.

Dans un deuxième temps, Patrick Quillier a lu un poème, extrait de son épopée D’une seule vague, consacré à Juan Gelman, un poète argentin forcé de s’exiler au Mexique, qu’il compare à Virgile. C’est avec émotion que Claudia Christiansen a serti cette lecture d’interventions musicales, car elle a elle-même dû fuir son pays de naissance en raison de l’oppression du régime en place.

Patrick Quillier

C’est par un repas partagé au Pigeonnier que s’est terminée la soirée. La poésie y a occupé une bonne place, avec plusieurs lectures. Il y a eu aussi du chant, grâce à Patrick et Fanfan, et même quelques pas de danse. Un moment de joie authentique, de partage sincère, comme on en vit trop peu. C’est la tête pleine de poèmes que je me suis endormi ce soir-là. Comme toujours, écouter la poésie des autres ne me donne qu’une envie, celle d’écrire…

Patrick Quillier chante sur le balcon

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