Jeudi des Mots rend hommage à Jean-Marc La Frenière

Après une pause estivale, les rendez-vous de « Jeudi des mots » reprennent, le troisième jeudi de chaque mois, au café littéraire « Chez Pauline », rue Bavastro à Nice. Et jeudi dernier, la soirée rendait hommage à un poète québécois récemment décédé, Jean-Marc La Frenière.

Après une introduction de Marilyne Bertoncini, il est revenu à la poétesse Ile Eniger de présenter ce poète qui était aussi pour elle un ami. Elle a brossé le portrait d’un poète hors normes, qui vivait dans une maison isolée au Québec, en compagnie d’un loup.

Marilyne Bertoncini

Un poète hors normes

Hors normes, il l’était sans conteste. Adolescent, il a côtoyé les Black Panthers, ces militants pour les droits des Noirs. Tout au long de sa vie, il prônera une liberté d’être, ne voulant entrer dans aucune case, ne demeurer sur aucun rail. Il avait deux enfants, devenus directrice d’école de théâtre et créateur de décors de films pour le cinéma, qui ont hérité, chacun à leur manière, de la fibre artistique de leur père.

Malgré son chemin de jeunesse tourmenté — drogue, alcool, cancers à répétition –, il sortira de tous ces pièges grâce à l’écriture, et il rejoindra une sorte de sagesse et de bonté vis-à-vis d’autrui, qui ont fortement marqué Ile Eniger. Celle-ci lui a rendu visite à quatre reprises au Québec, dans la région des Bois Francs. Il est également venu en France, notamment pour le Salon du Livre de Mouans-Sartoux (Alpes-Maritimes), où il était venu présenter des livres publiés en France par Jean-Michel Sananès.

Cet écrivain acharné passait de très longues plages de temps à sa table d’écriture, le jour mais aussi la nuit. Son crayon et son carnet ne le quittaient jamais. Il écrivait comme en écriture automatique, quasiment sans ratures. Il avait acquis lors de ses pérégrinations dans divers pays une très grande culture, et, comme bon nombre de Québécois, il défendait bec et ongles la langue française, refusant les anglicismes et chérissant certaines tournures désuètes sur le continent européen.

Ile Eniger

Le loup Chibouki

Jean-Marc La Frenière avait un loup. Non pas un chien-loup, mais bien un loup. Et cet animal a joué un rôle immense dans son imaginaire et dans sa pratique de poète. Il l’a accompagné pendant seize ans. Ce louveteau avait été trouvé en forêt, blessé, laissé pour mort à côté de sa mère tuée par des braconniers. Jean-Marc La Frenière l’a soigné, l’a élevé, et le loup lui a fait allégeance. Mis à part la mort d’une ou deux poules qui ont fini dans son estomac, Chibouki lui obéissait au doigt et à l’œil. Le regard du loup exprimait non pas la soumission, mais l’adoration de son maître, et l’on peut parler d’une relation quasiment fraternelle. Ile Eniger a raconté trois anecdotes qui, toutes, montrent la force du lien qui unissait le loup et le poète, et la fidélité absolue de l’animal.

La première anecdote met en scène le facteur qui, venu faire signer un recommandé, et constatant l’absence de Jean-Marc La Frenière, est entré dans la maison pour déposer le colis. Il faut savoir que le poète laissait toujours sa porte ouverte afin que n’importe quelle personne, perdue dans le froid, puisse s’abriter chez lui. Le loup n’a pas lâché le facteur d’une semelle, et, lorsque ce dernier allait s’en aller, il l’a saisi par le poignet, ne relâchant son étreinte qu’au retour de Jean-Marc La Frenière.

La deuxième anecdote concerne de plus près Ile Eniger elle-même, venue au Québec rendre visite à Jean-Marc La Frenière. Alors qu’elle buvait un café sur la galerie, c’est-à-dire la terrasse qui entourait la maison isolée, Chibouki vint lui souffler dans le cou, lui renifler dans les cheveux. Jean-Marc lui a dit de ne pas bouger. Le loup a posé sa main sur l’épaule d’Ile Eniger et a souri, écartant ses babines et révélant ses crocs énormes. Ensuite, il est parti. Jean-Marc a dit: « Tu n’as plus de souci à te faire, il t’a acceptée. »

Un autre jour où Jean-Marc La Frenière devait partir, une heure ou deux, pour faire du bois, Ile Eniger était restée dans le jardin, en train de lire. Le poète appelle son loup, et le loup s’assoit devant lui. Il lui parle et le loup semble écouter avec attention. Jean-Marc s’en va, et Chibouki est venu se coucher à côté d’Ile Eniger. Celle-ci se rend compte, au moment de se lever, que le loup suit le moindre de ses mouvements. Pendant deux heures, Chibouki ne l’a pas lâchée d’une semelle, et cela en devenait presque inquiétant. Jean-Marc est revenu, et dès que Chibouki a entendu le quad, il est vite venu voir son maître. Jean-Marc lui a dit quelque chose, et le loup est parti dans la forêt, sans plus s’intéresser à Ile Eniger. En discutant avec Jean-Marc La Frenière, Ile Eniger comprend que le loup avait pour mission de la protéger.

Dans tous les livres de Jean-Marc La Frenière, Chibouki est présent. C’était vraiment un ami, un membre de la famille. Le poète partait des plus simples éléments du quotidien pour écrire, avec une humilité extraordinaire. Il était l’ami de Félix Leclerc, un grand chanteur québécois qu’il a rencontré de façon surprenante. Jeune, il était parti à pied, avec quelques amis, pour assister à un concert de Félix Leclerc à Québec. Sur la route, il rencontre un paysan dans une charrette qui accepte de les conduire à bon port. Au moment du concert, Jean-Marc La Frenière s’est rendu compte que le paysan n’était autre que Félix Leclerc lui-même. Depuis, ils sont restés amis.

Lectures plurielles et chorales

Après cette présentation par Ile Eniger, la joyeuse équipe de « Jeudi des mots » a ensuite donné voix aux poèmes eux-mêmes de Jean-Marc La Frenière. À tour de rôle, les participants ont lu les poèmes qu’ils ont aimés. Franck Berthoux les a même mis en musique et chantés, accompagné d’une guitare.

J’ai été marqué par un poème intitulé « Manquablement », et qui se termine par le vers suivant : « Manquablement qu’il manque une phrase au poème. » Les convives ont été invités par Marilyne Bertoncini à imaginer cette phrase manquante, et à l’adresser par courrier électronique à jeudidesmots@gmail.com.

Je retiens surtout une lecture chorale, où, après une lecture traditionnelle, les convives ont été invités à se saisir de mots et de phrases, et à les faire résonner quand l’envie leur en prenait. Ce beau moment, hors du temps, a été capté, et je pense qu’il y en aura une publication, probablement sur le site Jeudidesmots.com, ou sur les réseaux sociaux. Ce poème, intitulé « La table est mise », est vraiment très beau, en ce qu’il exprime la jouissance de l’instant présent.

Prochain rendez-vous dans un mois

Le mois prochain, jeudi 19 octobre pour être exact, la rencontre de « Jeudidesmots.com », désormais portée par la toute nouvelle association « Embarquement poétique », sera consacrée à Magda Igyarto et à mon ami Ariel Osvaldo Tonello. La rencontre sera suivie d’une lecture nocturne des poèmes du l’anthologie sur la « matière noire du
poème ».


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