Qu’est-ce que la phonétique historique ?

La phonétique historique, telle une enquête linguistique remontant à travers les âges, est une discipline fascinante qui révèle l’évolution des langues. Elle permet de comprendre comment des sons et des prononciations ont évolué pour donner naissance aux langues que nous parlons aujourd’hui. La phonétique historique nous invite à remonter l’histoire des sons, à comprendre les changements phonétiques qui ont façonné notre parler actuel, et à définir les lois qui les déterminent. Dans cet article, nous allons définir la la phonétique historique, découvrir comment elle nous permet de retracer l’évolution de la parole à travers les siècles, et comprendre pourquoi elle est utile pour comprendre le français d’aujourd’hui.

La phonétique historique est une branche de la linguistique qui étudie l’évolution des sons et des systèmes phonétiques d’une langue au fil du temps. Elle se penche sur les changements phonétiques qui ont eu lieu dans une langue donnée, permettant ainsi de reconstituer les formes et les sons anciens d’une langue à partir de sa forme actuelle. Les linguistes spécialisés en phonétique historique analysent les variations phonétiques dans les langues, les règles qui gouvernent ces changements, et les facteurs sociolinguistiques, géographiques et culturels qui peuvent influencer ces évolutions. Cette discipline est essentielle pour la compréhension de l’histoire des langues et des familles linguistiques, ainsi que pour la reconstruction des langues anciennes et éteintes.

Un Romain en toge (IA de Canva)

Le latin classique, également appelé « latin littéraire », fait référence à la variante du latin utilisée principalement pendant la période de la République romaine et de l’Empire romain. C’était la forme de latin utilisée dans les textes littéraires, juridiques, religieux et administratifs de l’époque, et elle était caractérisée par sa précision grammaticale et sa clarté. Le latin classique est le latin de Cicéron, de Virgile et de Jules César, entre autres auteurs célèbres.

Le latin classique a évolué au fil du temps pour donner naissance au latin vulgaire, la forme de latin parlé par la population non éduquée, qui a finalement évolué en différentes langues romanes, dont le français, l’espagnol, l’italien, le portugais et le roumain. Le latin vulgaire était la langue du peuple, de la vie quotidienne, de la communication orale. Le latin vulgaire est caractérisé par des simplifications grammaticales par rapport au latin classique, ainsi que des modifications phonétiques. Il a évolué de manière indépendante dans différentes régions, ce qui a conduit à la diversité des langues romanes modernes que nous connaissons aujourd’hui.

Un érudit du Moyen-Âge (IA de Canva)

Les langues romanes sont donc nées du latin, par altérations successives. Pour comprendre cela, il faut s’imaginer qu’une langue, lorsqu’elle est davantage parlée qu’écrite, et parlée par des populations étrangères qui ont forcément un accent prononcé, est amenée à s’altérer, à connaître des simplifications grammaticales et phonétiques. Au début, ces modifications sont mineures et n’entravent pas l’intercompréhension entre les différents locuteurs du latin. Mais, petit à petit, avec la succession des générations, les différents usages deviennent des langues à part entière. C’est ainsi que sont nées les langues romanes : le français, l’espagnol, l’italien, le portugais, le roumain, et toutes sortes de langues régionales comme le corse, le sarde, le catalan, etc.

L’ancien français désigne la langue, ou plus précisément les langues, parlées dans la moitié nord de la France pendant le Moyen-Âge, autrement dit les langues d’oïl. On parle de moyen français pour désigner l’état de la langue à la fin du Moyen Âge et pendant la Renaissance.

Un écrivain des siècles classiques, tel que représenté par l’IA de Canva

Depuis le dix-septième siècle, la langue française continue d’évoluer, mais elle le fait à un rythme beaucoup plus lent. En effet, ce fut à cette époque que la France s’est dotée d’un État central, d’une administration bien établie, et c’est également à ce moment-là que les grammairiens tels que Malherbe ou Vaugelas ont joué un rôle crucial dans la fixation des bons usages de la langue. À partir de la fin du XIXe siècle, l’école obligatoire pour tous est apparue, ce qui a permis d’enseigner une norme linguistique commune à tous les élèves. De plus, l’écrit a pris une place plus importante qu’au Moyen-Âge, ce qui a également contribué à la stabilité de la langue.

Ces différents facteurs expliquent pourquoi la langue française évolue moins rapidement qu’elle ne l’a fait par le passé. On peut toutefois noter une distinction entre le français classique, correspondant à la période de la littérature du XVIIe et XVIIIe siècles, et le français contemporain, qui est utilisé dans la littérature du XIXe et XXe siècles.

Des érudits de différentes époques, imaginés par l’IA de Canva

Les phonéticiens et les linguistes historiques cherchent à définir les lois qui ont déterminé les changements phonétiques dans les langues au fil du temps. Pour ce faire, ils comparent des textes d’époques différentes, en notant l’évolution des graphies, ou encore étudient des textes rédigés dans des langues voisines. L’examen de manuscrits anciens, ainsi que de grammaires et de dictionnaires anciens, a permis aux chercheurs de retracer l’évolution de la prononciation au fil du temps. La dialectologie peut aussi être utile. Les phonéticiens parviennent ainsi à reconstituer les phonologies des langues anciennes, notamment celles pour lesquelles il n’existe pas de textes écrits.

La règle qui prévaut sur toutes les autres, c’est celle du moindre effort articulatoire. Pour un Gaulois, certains mots latins sont difficiles à prononcer, parce qu’ils sont éloignés des sons de sa langue maternelle. Et donc, il va les prononcer d’une façon qui est plus facile pour lui. Les différents peuples qui ont utilisé le latin ne rencontrent pas les mêmes difficultés, et c’est pourquoi le latin a évolué en plusieurs langues différentes. Chacun parle de la façon qui est la moins coûteuse pour lui.

Le latin classique est une langue où la longueur des voyelles a une importance. Les syllabes sont plus ou moins longues. Ce n’est pas le cas en français. On est passé d’un accent de durée à un accent d’intensité. C’est ce qu’on appelle le bouleversement vocalique. En français contemporain, de façon générale, l’accent est placé sur la dernière syllabe d’un groupe rythmique.

D’autres changements ont eu lieu au fil de l’histoire. Les voyelles atones finales se sont amuïes. Nous avons perdu des diphtongues, nous avons gagné des voyelles nasales, des phénomènes tels que la palatalisation se sont produits…

Pour s’initier à la phonétique historique, il convient de se familiariser avec l’alphabet phonétique des romanistes. Plus adapté aux langues romanes que l’Alphabet Phonétique International (API), il permet de noter les évolutions phonétiques qui ont eu cours du latin classique au français contemporain, en passant par le latin vulgaire, l’ancien français et le moyen français.

L’alphabet des romanistes ressemble beaucoup à l’API, mais présente malgré tout des différences. Ainsi, pour noter le o fermé, comme dans « sot », on mettra un petit point sous le o [ọ], alors que pour noter le o ouvert, comme dans « sotte », on mettra un cercle ouvert sous le o [ǫ].

Cet alphabet, dit aussi alphabet de Bourciez, peut être consulté sur Wikipédia, où vous trouverez la correspondance avec l’Alphabet Phonétique International. On apprend dans cette encyclopédique numérique que « cet alphabet n’a rien d’officiel : il n’en existe pas de version définitive. Chaque auteur pratique souvent sa propre transcription, parfois limitée pour des raisons typographiques par l’éditeur. »

J’ai découvert la phonétique historique à travers l’épreuve d’ancien français à l’agrégation de lettres modernes. Le candidat a comme support un extrait d’une page de l’œuvre médiévale au programme, qui change chaque année. À partir de celle-ci, il doit traiter une question de lexicologie historique (l’évolution du sens d’un mot), une question de morphologie (la formation des mots), une question de syntaxe de l’ancien français (autrement dit de grammaire), une question de traduction, et, donc, une question de phonétique historique.

La question de phonétique historique consiste à retracer l’évolution phonétique d’un mot, depuis l’étymon latin jusqu’à l’ancien français. Le candidat doit nommer, dater et expliquer les phénomènes qui ont provoqué la transformation de la prononciation du mot. Par exemple, comment on passe du latin « tonitrum » au français « tonnerre ». Cela implique de savoir comment est accentué le mot latin, car les syllabes toniques n’évoluent pas de la même manière que les syllabes atones.

Pour travailler cette question, outre les cours de mes profs à la fac, mesdames Bodhana Librova et Isabelle Vedrenne, dont l’érudition est impressionnante, je me suis appuyé sur le précis de Gaston Zink (un livre vert chez Puf) et sur les exercices de phonétique de Monique Léonard (un livre orange chez Armand Colin).

La Phonétique historique du français de Gaston Zink
Les Exercices de phonétique historique de Monique Léonard

Je me souviens que j’avais appris comme une comptine l’évolution du « é » tonique libre : é, eï, oï, wa. Ce « wa » peut devenir finalement un « è » ou rester un « wa » graphié « oi ». Cette évolution est celle d’une diphtongaison.

La phonétique historique intéresse avant tout les linguistes, qui sont des chercheurs, des scientifiques qui étudient l’évolution des langues. Cependant, il me semble qu’elle est également utile pour des littéraires généralistes, voire des non-spécialistes.

En particulier, la phonétique historique permet d’expliquer certaines des bizarreries de l’orthographe. C’est grâce aux cours de linguistique historique que j’ai compris pourquoi certains pluriels utilisent un x et non un s, pourquoi les lettres « au » permettent d’écrire le son « o », pourquoi la lettre « t » se prononce parfois « s », etc.

Je trouve personnellement que la phonétique historique me permet de me rendre compte de la complexité de l’orthographe du français contemporain, résultat de siècles d’évolution. Cela m’aide dans mon métier d’enseignant, et je parle parfois d’étymologie et de phonétique à mes élèves, sans bien sûr entrer dans des considérations techniques. Les enfants sont tout fiers quand je leur dis que je leur explique quelque chose qu’on n’apprend d’habitude que plus tard, cela éveille leur intérêt et ensuite ils s’en souviennent au moment de choisir la bonne orthographe.

Je ne vais pas, bien sûr, parler de palatalisation à des enfants de cours moyen, mais je trouve qu’ils acceptent plus volontiers d’écrire « t » là où on entend « s », quand je leur explique que, il y a très très longtemps, on entendait bien « t », et que la prononciation a changé.

Plus globalement, il est intéressant pour tout locuteur français de comprendre que l’écrit est plus conservateur que l’oral, et reflète un état passé de la prononciation de la langue. Notre langue compte ainsi un très grand nombre de lettres muettes, qui sont généralement des vestiges d’une prononciation passée. Le français écrit est d’ailleurs très éloigné du français oral, ce qui en fait une langue relativement difficile à apprendre pour les enfants. L’orthographe française est loin de se réduire à une correspondance grapho-phonétique, et c’est précisément la phonétique historique qui permet d’expliquer pourquoi le français s’écrit rarement comme il se prononce.

Pour conclure, la phonétique historique nous fait voyager dans l’histoire de notre langue. En appréhendant l’évolution des sons à travers le temps, nous comprenons comment le latin s’est peu à peu transformé en langue française. L’apprentissage de la phonétique historique est certes assez austère, mais il révèle la richesse et la beauté de notre langue. C’est une aventure intellectuelle qui invite à explorer le passé pour mieux comprendre le présent et à mieux comprendre l’orthographe du français d’aujourd’hui. Alors, que ce voyage dans le temps vous inspire à explorer davantage la phonétique historique et à apprécier la beauté de notre langue française. Bon voyage linguistique !


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2 commentaires sur « Qu’est-ce que la phonétique historique ? »

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