J’ai découvert la poésie de Jean-Michel Maulpoix en 2007. Mes études en hypokhâgne et khâgne m’avaient permis de découvrir les grandes voix de la littérature française, mais j’étais curieux de savoir ce que l’on écrivait, à présent, en poésie. À quoi ressemblaient les poètes d’aujourd’hui.
Les cours que j’avais suivis en classes préparatoires n’abordaient que très peu le champ contemporain, mais la bibliographie sélective dressée par ma prof de lettres recommandait la lecture de La poésie en France du surréalisme à nos jours par Marie-Claire Bancquart, aux éditions Ellipses. Un opuscule absolument indispensable à mon sens pour découvrir la poésie contemporaine. Je me suis surtout intéressé aux dernières pages, celles qui portaient sur les auteurs les plus récents. Plusieurs noms ont retenu mon attention : Michel Deguy, Jacques Roubaud, Jean-Michel Maulpoix. Ce dernier surtout m’attirait, ne serait-ce que parce qu’il était le plus jeune de tous les poètes présentés dans ce livre, et parce que la présentation qui en était faite donnait envie d’en découvrir davantage.
J’ai donc acheté Une histoire de bleu, suivi de l’Instinct de ciel, paru au format de poche en Poésie/Gallimard en 2005. Je crois que jamais, dans ma vie, je n’avais été autant ébloui par un livre de poèmes. Le bleu, la mer, le ciel, les bleus au corps et à l’âme… Je me sentais proche de cet homme rongé d’inquiétude, mais animé, malgré tout, d’un instinct de ciel. Alors, quand j’ai rencontré ma directrice de mémoire, Béatrice Bonhomme, je lui ai dit que je voulais travailler sur Jean-Michel Maulpoix, et elle m’a fortement encouragé en ce sens.
J’ai écrit un courrier électronique au poète. Je ne me souviens pas en détail de la teneur de mes questions, mais je sais que je lui demandais en somme son avis sur la problématique que j’avais choisie, à savoir la tension entre inquiétude et apaisement, entre dissonance et sérénité, dans certains de ses recueils. Quelques jours plus tard, je recevais avec bonheur un message très chaleureux, qui me recommandait d’élargir mes investigations en intégrant à mon corpus Domaine public, écrit pendant une période de dépression, et Chutes de pluie fine, où le poète promène son inquiétude aux quatre coins du monde. J’avais déjà prévu d’inclure, outre Une histoire de bleu et L’instinct de ciel, l’étude de Pas sur la neige, un magnifique volume plein de douceur, de blancheur et de paix. Au moment où je commençais mes recherches, Pas sur la neige était le recueil le plus récent du poète.
J’ai donc consacré mon mémoire de M1 à l’étude de l’inquiétude et de la dissonance dans ces cinq recueils, dans toutes leurs dimensions thématiques, stylistiques, énonciatives, rythmiques, et, l’année suivante, mon mémoire de M2 à l’analyse de la tension de cette dissonance avec une quête de sérénité qui aboutit parfois à l’apaisement.
Je n’ai rencontré physiquement Jean-Michel Maulpoix que plus tard. La première fois, dans les locaux de la Sorbonne, à Paris, où j’assistais à un colloque sur son oeuvre, dirigé par Corinne Bayle, Corinne Godmer et Jean-Yves Masson. Moi-même, je participais avec un article écrit que les contraintes d’organisation ne me permettaient pas de présenter à l’oral. La veille, j’avais découvert la Bibliothèque Nationale de France, où j’avais pu photocopier quelques-uns des recueils du poète avec l’aide de ma mère. Tout ému de le rencontrer enfin pour de vrai, je lui ai dit mon admiration avant de lui demander comment trouver certains de ses premiers recueils désormais épuisés. Il m’a raconté que lui-même depuis son divorce avait perdu un certain nombre de ses propres ouvrages, et qu’il scrutait les sites de vente d’occasion sur Internet pour reconstituer sa bibliothèque. Il m’a alors présenté à son ami Benoît Conort, qui intervenait également à ce colloque, et qui m’a annoncé qu’il m’enverrait par courrier postal les photocopies des recueils qui me manquaient. Je le remercie encore pour cette aide très précieuse qui m’a permis d’avoir accès à des ouvrages introuvables.
Il ne me restait plus qu’à me mettre au travail. Je pensais avoir une belle avance, m’imaginant qu’il me suffisait d’étendre la réflexion développée dans mes deux mémoires de Master aux autres recueils du poète. En effet, en additionnant les deux mémoires, j’arrivais à un ensemble de plus de trois cents pages. En réalité, il a fallu tout repenser, car l’oeuvre lue intégralement n’avait rien d’un parcours de l’inquiétude à l’apaisement, et tout d’une tension permanente de ces deux dimensions. Je pensais aussi voir une corrélation assez nette entre les pratiques du rythme, tantôt très haché, tantôt très lié, et les deux pôles de l’inquiétude et de l’apaisement : en réalité, les choses sont beaucoup plus subtiles, et c’est ce qu’il m’a fallu expliquer dans ma thèse.
Au cours de ma thèse, Jean-Michel Maulpoix a accepté de me rencontrer pour que je puisse lui poser des questions. Il m’a très gentiment invité dans son bureau de la Sorbonne Nouvelle, en choisissant une date où il donnait une conférence sur la peinture de Christian Gardair. Cela tombait pendant les vacances de Pâques, et j’en ai profité pour faire un peu de tourisme à Paris. Je ne sais plus pour quelle raison, mais il y avait ce jour-là des chèvres dans le parc de l’université. Jean-Michel Maulpoix m’attendait à l’accueil et il m’a guidé jusqu’à son bureau. Intimidé, impressionné d’avoir face à moi l’homme dont je lisais quotidiennement les poèmes, je lui ai posé toutes mes questions auxquelles il a répondu avec beaucoup de gentillesse et de précision. J’ai ensuite assisté avec plaisir à la conférence de séminaire où le poète montrait non seulement la face mais aussi le verso des tableaux de Christian Gardair, le peintre girondin investissant cet espace avec des notes habituellement cachées au regard du spectateur.
Ma troisième rencontre avec Jean-Michel Maulpoix a été le jour de ma soutenance. Cette journée qui a été l’une des plus importantes de ma vie. C’était, donc, le 15 janvier 2015, par un ciel gris d’hiver, dans la grande Salle du Conseil de la faculté des lettres. Face à moi, se tenaient de très grands spécialistes de la littérature contemporaine : Dominique Viart, Catherine Mayaux, Benoît Conort, Odile Gannier et bien sûr ma directrice de thèse Béatrice Bonhomme. Derrière moi, une salle bien remplie d’amis, de connaissances, d’étudiants et de professeurs, parmi lesquels Jean-Michel Maulpoix lui-même, qui s’était spécialement déplacé pour l’occasion. J’ai d’abord présenté ma thèse, son objectif, sa méthode, ses raisonnements et ses conclusions. Chaque membre du jury m’a ensuite cuisiné à son tour, posant des questions très précises sur des passages parfois rédigés plus d’un an auparavant. Après un temps de délibération pendant lequel le jury s’est entretenu à huis clos, j’ai été officiellement déclaré docteur en langue, littérature et civilisation françaises, avec les félicitations à l’unanimité du jury. Nous nous sommes alors réunis dans la salle attenante pour un petit buffet, puis nous avons retrouvé la Salle du Conseil pour une lecture par Jean-Michel Maulpoix de son recueil Le voyageur à son retour qui n’était à ce moment-là pas encore publié. La pression retombait peu à peu et je me laissais aller au plaisir d’écouter la poésie dans la bouche même de Jean-Michel Maulpoix.
De 2007 à 2015, j’ai passé presque huit années à lire et étudier, quasi quotidiennement, la poésie de Jean-Michel Maulpoix. C’est une aventure singulière, comme il s’en vit peu, passée dans la compagnie de cette trentaine de recueils et d’opuscules, où se posent et se reposent obstinément, mais toujours de façon nouvelle, les mêmes questions, les mêmes doutes, les mêmes inquiétudes, et, simultanément, la même quête de douceur et de clarté. J’ai aimé, surtout, suivre le rythme de la phrase maulpoisienne, ses coupes brusques, ses cavalcades, ses envolées, ses ascensions fiévreuses, ses apodoses abruptes, ses énumérations, ses grandes phrases amples et souples qui s’amplifient et se résorbent comme un torrent, comme un ressac, comme la respiration même du monde, où se lisent la naissance, la vie, la mort.
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Je comptais au départ rédiger une introduction à la poésie de Jean-Michel Maulpoix. J’ai finalement raconté comment j’ai découvert cette poésie que je tiens pour l’une des plus grandes de son temps, comment je l’ai fréquentée et commentée assidûment. Si vous vous intéressez à la poésie de Jean-Michel Maulpoix, vous trouverez de très nombreux articles qui lui sont consacrés dans ce blog. Un détour vers le site personnel du poète est également indispensable. Et, pour le lire, je recommande de commencer par Une histoire de bleu.
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Merci pour cette (nouvelle) invitation à découvrir la poésie contemporaine. Je viens de commander le livre de Marie-Claire Bancquart mais je continue à explorer votre blog, qui m’apporte exactement ce dont j’avais besoin. J’ai quitté la France il y a 17 ans, j’ai pris avec moi tous mes livres, essentiellement des classiques, et je manque de fenêtres sur notre époque !
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Merci beaucoup ! J’espère que vous prendrez plaisir à fréquenter régulièrement ce blog où la poésie contemporaine est l’un des sujets principaux. J’ai présenté plus de 100 poètes d’aujourd’hui au fil du temps. Merci à vous pour ce commentaire.
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Je vais chercher » Une histoire de Bleu » !
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Tu me diras ce que tu en penses !
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Il existe une traduction italienne partielle : http://www.maulpoix.net/bibliographie_comple%CC%80te.htm#Traductions
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A mon rythme je vais essayer de découvrir ces deux poètes qui m’ont interpelée ..Dont vous , Mr Grossi et Jean Michel Maulpoix ..Merci bcp .Evelyne Favard.
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