« Monde, genoux couronnés » de Béatrice Bonhomme, par Jalel El Gharbi

Jalel El Gharbi, poète, universitaire et traducteur, a lu le dernier recueil de Béatrice Bonhomme et a écrit la note de lecture qui va suivre. Je précise que ce recueil s’intitule Monde, genoux couronnés, qu’il est paru aux éditions Collodion en 2023, et qu’il a reçu le Prix Mallarmé 2023.

En prélude, comme une donation, il y a la lumière et son extinction qui se décline en « morsure », en « blessure ». Il ne s’agit point d’antonyme ici, mais de corollaires associés dans l’être et la souffrance d’être : « la blessure d’être la merveille d’être ». Dans la lancinante présence de ce qui fut, de ce qui n’est plus, le paysage s’offre – encore une donation – comme unique recours devant l’irréversible, grâce à toutes euphories et les ivresses qu’il présente.

Dans un thrène qui ne dit pas son nom, la figure de la grand-mère dit l’enfance et se fait allégorie de l’écriture. Le faire de la figure maternelle se traduit dans des verbes à sémantisme tout en symboles « ravauder », « coudre », « repriser ». Autant de synonymes d’ « écrire ». C’est-à-dire faire le lien, établir la jonction entre les vides, les blancs qui, eux aussi, constituent la dentelle aérée de l’écriture. Dans ces pages faites de blancs, de béances, Béatrice Bonhomme égrène les réminiscences. L’autobiographie est fragmentaire, lacunaire. Il s’agit moins de brachylogie que d’ellipse. L’auteure adopte une posture où l’exigence du taire est de la même étoffe que celle du dire. « Pudique, timide et secrète » Ici, le portrait de la figure maternelle semble tenir de l’autoportrait. Il y a du spéculaire dans ce vers, ou mieux encore, du métatextuel. Le poème est pudique, timide et secret nonobstant le ressassement du souvenir qu’on peut lire par exemple dans la reprise anaphorique de « Elle ». Ce pronom, devenu nom, se lit comme litanie ou complainte dans l’homophonie partielle liant « ravaudage » et « ouvrage », celui de la figure maternelle, ou de la poétesse :

Et lentement elle reprisait le monde
Et réparait notre douleur

L’anaphore du « et » dit la permanence, désigne une durée comparable à celle où s’inscrit le personnage de Pénélope tout à son tissage, ici évoquée.

Coudre, tisser, broder et leurs synonymes, tantôt lisibles, tantôt devinables,  concourent à faire signe :

Et nous poursuivons le fil des mots
Le ravaudage des saisons
Afin que l’on n’oublie pas

Béatrice Bonhomme s’approprie « l’ouvrage » maternel fait de reprise et de couture, qui finit par devenir celui du lecteur.

Puis voici les premières pages de l’amour, les premières expériences d’une altérité profonde, surdéterminée par le désir, et toute sa sphère, ourdie d’impatience et d’affection et pourtant souvent euphémisée, tempérée en « élan ». Le désir a une portée cosmique puisqu’il ajointe terre et ciel ou tout au moins dit la proximité de ce qui est distant. « Un très jeune homme » libère l’amour et les mots qu’il engage. Telle est sans doute la malemort qui guette depuis l’enfance et s’annonce par les pépiements des amours juvéniles, si juteuses. Le recueil, de facture autobiographique se lit dans le plaisir que procure la promiscuité entre vivre, écrire et lire. Plaisir de voir la douleur convertie en son antonyme dans une perspective qui réussit un pathétique sans aucun pathos parce que taillé dans l’épaisseur du silence et dans la teneur de l’angoisse contenue.

Texte : Jalel El Gharbi


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