Il y a exactement quarante ans, des scientifiques français de l’Institut Pasteur annonçaient, dans la revue Science, avoir découvert un nouveau virus, le Virus de l’Immunodéficience Humaine, responsable du syndrome d’immunodéficience acquise, autrement dit le Sida. D’autres que moi détailleront les conséquences de cette épidémie, sanitaires, humaines, sociales… Je voudrais quant à moi rappeler que le Sida a également marqué l’histoire de la littérature.
Contexte : le VIH et le Sida
Découvert en 1983, le VIH est un virus de la famille des rétrovirus, capable de produire une copie de son information génétique (ARN) pour l’intégrer sous la forme d’ADN au génome humain (détournant à son compte une enzyme humaine, la transcriptase inverse). Les cellules humaines infectées se mettent donc à fabriquer de nouveaux virus. Le VIH s’attaque aux cellules du système immunitaire, rendant le corps incapable de se défendre contre les maladies. Sans traitement, la maladie évolue lentement jusqu’à priver l’individu de système immunitaire, rendant tout microbe potentiellement mortel. Les traitements actuels rendent la charge virale indétectable et la maladie intransmissible. Mais les années 1980 et 1990 ont été marquées par une épidémie d’importance mondiale.
La littérature ne pouvait pas ignorer ce fléau, de même que l’histoire littéraire future montrera sans doute qu’elle s’est également emparée de la crise du Covid.
Bernard-Marie Koltès, un maître du tragique contemporain, mort du Sida
À vrai dire, c’est en pensant à Koltès que j’ai eu l’idée de cet article, quand j’ai appris que cela faisait quarante ans que le VIH avait été découvert. Je dois à ma prof d’hypokhâgne, Paule Andrau, de m’avoir fait découvrir le théâtre de Koltès, un maître du tragique contemporain. Le dramaturge est lui-même décédé du Sida en 1989, à l’âge de 41 ans. Je me souviens avoir été marqué par cette information, car c’était la première fois que j’entendais parler d’un écrivain mort du sida.
Je ne pense pas que la maladie soit explicitement évoquée dans le théâtre de Koltès, surtout centré sur la violence des rapports humains, entre Noir et Blancs (Combat de nègre et de chiens), entre le dealer et son client (Dans la solitude des champs de coton), entre un suicidaire et les marginaux qui l’entourent (Quai Ouest). Mais il décrit ces milieux troubles, ces zones de non-droit, ces marges de la société, où les rapports humains sont plus intenses, plus violents, plus tragiques, et donc plus susceptibles d’intéresser le théâtre.
C’est avec Combat de nègre et de chiens que j’ai découvert le théâtre de Koltès. Je vous invite vraiment à lire ce huis-clos tragique dans une Afrique post-coloniale, situé dans un chantier entouré de miradors et sumplombé par un port autoroutier en construction. Ce lieu oppressant est comme un ilôt artificiellement implanté dans une nature qui le rejette. Les quelques Blancs qui y vivent ont tenté de dissimuler la mort d’un de leurs ouvriers dans un accident du travail, mais le mystérieux Alboury vient réclamer le corps qu’ils ont fait disparaître…
Jean-Luc Lagarce : « Juste la fin du monde »
Jean-luc Lagarce (né en 1957 et mort en 1995), de neuf ans plus jeune que Koltès, est souvent rapproché de son aîné. En effet, il est lui aussi un dramaturge mort trop tôt à cause du Sida. Il a vécu pendant sept ans avec la maladie, ce qui lui a laissé le temps d’écrire à son sujet. Sa pièce la plus connue, Juste la fin du monde, est précisément centrée sur l’histoire d’un personnage qui rentre dans sa famille et cherche à annoncer à ses proches qu’il est condamné. L’œuvre a été au programme du baccalauréat et de l’agrégation de lettres.
On trouvera dans l’article que consacre Wikipédia à la pièce un résumé très détaillé de cette pièce qui aborde le sujet de la difficile communication au sein de la famille, un malaise accru par le secret du personnage, qu’il ne parviendra finalement pas à avouer. On pourrait rapprocher l’enjeu de la pièce de ce que l’on a appelé le « coming out », à ceci près qu’il ne s’agit pas seulement pour le personnage d’annoncer son homosexualité mais aussi sa mort prochaine inévitable des suites du Sida. Un secret resté inavouable et inavoué, au milieu de toutes les tensions familiales.
Un romancier : Hervé Guibert
Avant d’écrire cet article, je n’avais entendu parler que de Koltès et de Lagarce comme écrivains liés au Sida. Je me suis dit que le sujet avait forcément été évoqué par d’autres, et je suis tombé, après quelques rapides recherches sur Internet, sur le nom d’Hervé Guibert, lui aussi disparu trop tôt des suites du Sida.
Hervé Guibert (1955-1991), écrivain, journaliste et photographe, révèle sa séropositivité dans un roman autobiographique intitulé À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie. Floutant sans cesse la frontière entre vérité autobiographique et imagination romanesque, le roman évoque la maladie et la dégradation physique de Muzil.
Et les poètes ?
Pas une fois, au cours de ma formation ou de mes recherches sur la poésie contemporaine, je n’ai rencontré la question du Sida chez les poètes. L’article « Sida » de Wikipédia ne mentionne pas de poètes (mais des films, des pièces de théâtre…). Une recherche rapide sur Google ne donne pas grand-chose.
Il faut donc croire que les poètes ne se sont pas vraiment emparés de ce sujet, ou peut-être, que ceux qui l’ont fait n’ont pas connu de succès. Je crois qu’il faut replacer les choses dans le contexte des années 1980-1990, où évoquer sa séropositivité était loin d’aller de soi, dans une société traumatisée par l’épidémie.
Je pense que la poésie devrait avoir son mot à dire sur le Sida, qui n’est pas seulement une maladie parmi d’autres, puisqu’il a bouleversé les sociétés du monde à la fin du XXe siècle. Voici donc que faire l’amour devenait potentiellement mortel. Les conséquences sanitaires, psychologiques, sociales de la maladie, leurs répercussions sur bien des sujets de société, constituent une matière importante pour le poète, dès lors qu’il n’est plus reclus dans une tour d’ivoire, mais entend donner voix à la société.
Le tournant de l’année 1994
Un article du très sérieux site Fabula rend compte d’un ouvrage collectif qui répertorie les textes littéraires sur le Sida en deux grandes catégories : avant 1994, où le Sida est une maladie inconnue, mortelle, imprévisible ; et après 1994, où le syndrome devient progressivement une maladie chronique, s’agissant désormais de vivre avec le Sida. L’article nomme effectivement Lagarce et Guibert comme deux écrivains s’étant emparés de la question du Sida. La poésie n’est pas évoquée dans cet article.
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Aujourd’hui encore, le Sida continue de faire peur. Certes, grâce aux avancées de la science, le VIH ne tue plus, mais il condamne à une vie de vigilance et de traitements permanents. La meilleure arme contre le virus reste la prévention. Il importe, dès lors, de se dégager des tabous, de nommer explicitement les réalités médicales, sanitaires, mais aussi psychologiques et sociales, que recouvre la question du Sida. De nombreuses associations s’y emploient, qui luttent pour l’éradication du virus et contre la sérophobie ambiante. Il importe de rappeler que les personnes qui se savent séropositives et qui suivent rigoureusement les protocoles médicaux ont une charge virale indétectable. Sur tous ces sujets, la littérature a son mot à dire. Elle a la force de traduire, par le détour de la fiction, ce que ne peuvent pas réellement dire les études médicales ou les enquêtes sociologiques. L’art est, dans son essence même, politique. Pas seulement l’art engagé, mais l’art dans son ensemble, qui est une chose publique. Amis écrivains, romanciers, dramaturges, poètes, vivez, ressentez et prenez la plume, soyez notre bouche, soyez notre voix, et montrez-nous le monde comme nous n’avons pas su le voir, éclairez nos problèmes sous une lumière nouvelle, et parlez ! La poésie ne sauvera pas le monde, mais elle fera partie de la solution.

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Dans Un grand instant, deux poèmes « Remi » parlent de Rémi Darne, mort du Sida. Dans Séculaires, l annonce d une seropositivite est le sujet du poeme 1987. Dans odes dérisoires ( version poésie gallimard) l aria pour le vrai dieu de Vence sections III et IV expliquent la visite à Matisse lors d une agonie d un ami mourant du sida en 1983. Quand j écris » je fus à 20 ans condamné à mort » c est aussi en référence au sida,.quand on ne pouvait connaître la survie par les trithérapies. Il ne me semble pas que ma poésie soit muette sur le sujet. Peut être relève t elle de la catégorie des œuvres méconnues ? ( cependant disponible en poche…). Bien amicalement. OB
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Merci beaucoup pour ce commentaire ! Il faut que je lise tout cela ! Merci beaucoup !
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Tu ne parles pas de Cyril Collard qui était romancier aussi avec » Condamné amour » et » Les Nuits Fauves » ? Pour ma génération, né autour des années 60-70 , il a été très important, cela a été corroboré par son film testament » Les Nuit Fauves » sorti en 1992. Il est mort en 1993. Du Sida.
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Ok merci pour la référence !
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