Mercredi 13 mars 2024, c’était le lancement tant attendu des Journées Poët Poët. Trois événements ont marqué cette journée : une matinée à la faculté des lettres de Nice, un après-midi au quartier Pasteur pour la « Petite Maison de Poésie », et une soirée triomphale à la Cave Romagnan pour une scène ouverte de slam.
8h15 du matin : je me gare devant l’hôtel de David Giannoni, poète invité des Journées Poët Poët. Mon rôle aujourd’hui : l’accompagner aux différents événements de cette première journée de festival. J’ai acheté quelques croissants pour l’accueillir. Je le récupère au bas de son hôtel. Il est un peu fatigué, après une courte nuit marquée par le retard de son avion. Première destination, la Faculté des Lettres de Nice, où il est invité à une master-class auprès des étudiants en licence de Santé.
Une master-class à l’Université
Nous montons donc au troisième étage du bâtiment de l’Extension, un endroit que je connais bien pour y avoir étudié et travaillé. Là, juste au-dessus des locaux du CTELA, le laboratoire de recherche dont je suis membre, se trouve un petit amphithéâtre occupant la salle jadis occupée par la petite bibliothèque de lettres où nous menions nos ateliers d’écriture. Une soixantaine d’étudiants arrive progressivement, accompagnés par mon amie Sandrine Montin, Maîtresse de Conférences en Littérature Comparée, et responsable de ce cours auprès des étudiants en santé.

La matinée a débuté par une rencontre des plus inspirantes entre Sandrine Montin et David Giannoni, offrant ainsi aux étudiants un aperçu privilégié de l’univers poétique de ce dernier. David Giannoni, se définissant lui-même comme un « théra-poète », a captivé l’auditoire avec son parcours singulier, en parfaite résonance avec les thématiques abordées dans les cours de Sandrine Montin. Les étudiants se sont rapidement pris d’un vif intérêt pour cet homme dont les mots cherchent à faire du bien.
Dans un deuxième temps, les étudiants ont été chaleureusement invités à partager une lecture orale de poèmes de David Giannoni. Les volontaires ont rejoint David et Sandrine sur l’estrade, le recueil passant de main en main. Sandrine a souhaité que les étudiants forment un groupe compact, et que la personne qui lit passe au premier plan, puis rejoigne l’arrière du groupe : on sent ici qu’elle est aussi passionnée de théâtre et de mise en scène. Cette disposition ludique a permis de lever le peu de timidité qui restait aux étudiants. Les mots de poésie ont ainsi pu résonner dans l’espace de l’amphithéâtre, et permettre des échanges stimulants.
Le troisième temps de la matinée a été occupé par un jeu d’écriture proposé par David Giannoni. Les étudiants ont été invités à réutiliser des mots entendus au cours de la matinée, à faire état de leurs réflexions ou de leurs sentiments, avec la contrainte de ne pas dépasser dix lignes ou dix vers. Après ce premier jet, ils devaient condenser le tout en trois lignes ou trois vers, puis en une seule ligne. Les étudiants se sont pris au jeu, et ont lu avec enthousiasme leurs productions en fin de matinée.
Une Petite Maison de Poésie au cœur du quartier Pasteur
Après cette matinée enrichissante, David Giannoni a souhaité se reposer un peu à son hôtel, ce qui m’a permis d’aller vérifier le bon fonctionnement du dispositif « La Voix est libre ». Depuis plusieurs années, en effet, le Festival Poët Poët diffuse des voix poétiques sur les haut-parleurs de la Promenade du Paillon. Cette année, plus de 190 voix, allant des jeunes enfants des écoles jusqu’aux pensionnaires parfois centenaires des maisons de retraites, se succèdent aux abords de la Coulée Verte, au niveau du miroir d’eau. Pendant toute la durée du festival, vous pouvez aller écouter les nombreux participants, parmi lesquels mes élèves de CM1 de l’école du Val Fleuri, et les retraités de l’EHPAD du CHU de Cimiez que j’enregistre une fois par an.
Rendez-vous, ensuite, à 14 heures, sur la place Maccario, au cœur du quartier Pasteur, au nord de Nice. L’une des motivation des Journées Poët Poët est en effet de faire résonner les mots de poésie dans des endroits où on ne les entend jamais, dans les « quartiers » comme ont dit, pour évoquer ces espaces qui ne figurent pas dans les circuits touristiques, et qui font pourtant bien partie de notre ville de Nice. L’an dernier, nous avions investi un jardin public de l’Ariane. Cette année, nous occupons poétiquement le quartier Pasteur.
C’est là, sur la place habituellement déserte, que les services techniques de la mairie nous ont aidés à installer la Petite Maison de Poësie. De loin, cela ressemble à un Algeco blanc et noir, flanquée d’une enseigne portant la mention « Petite Maison de Poësie », et d’un grand tournesol blanc en papier. À l’entrée, sur un rectangle de gazon synthétique, ont été posés trois pas japonais. Une décoration volontairement minimaliste, destinée à ne pas faire ombrage à la poésie, et qui suffit à intriguer les passants.

Dans l’obscurité de la Petite Maison
À l’intérieur, le poète visuel Gabriel Fabre attend les curieux. Ceux-ci peuvent entrer, seuls ou par deux, dans cet espace exigu et obscur, dont les parois ont été recouvertes de draps noirs. Il faut un petit temps d’accommodation pour s’habituer à la pénombre. On nous prête alors une petite lampe de poche, avec laquelle on peut découvrir les objets installés par le poète, et lire les poèmes installés.
Après ce premier temps d’exploration libre, Gabriel Fabre prend la parole. Sans dévoiler totalement son propos, car vous pourrez encore l’entendre par vous-mêmes mercredi 20 mars sur la Coulée Verte, sachez que le poète nous fait voyager dans le temps, jusqu’à la préhistoire, avec une réflexion qui nous interroge sur ce qu’est l’humanité. Dans un troisième temps, le poète nous invite à écrire sur un papier de tout petit format, avant de déposer ce petit mot au sol, à côté des autres.
Cette expérience insolite est comme une parenthèse de quelques minutes au cours de la journée. Accepter de ne pas savoir ce qu’il va arriver, accepter de se laisser enfermer pour quelques minutes dans un local exigu et sombre, et de se laisser emporter dans le monde de la poésie. Pénétrer dans un autre espace-temps, comme si l’on entrait dans l’univers imaginaire de Gabriel Fabre. Écouter les mots presque murmurés du poète. Il y a quelque chose de très doux dans sa voix, comme dans son regard. Puis ressortir à la lumière, presque ébloui, comme si l’on venait de s’éveiller d’un rêve…
Animations ex situ pour petits et grands

Tout autour de la Petite Maison, l’espace de la place Maccario a été investi par le PoëtBuro et par les artistes invités. Des chaises longues ont été installées, où les passants sont invités à entendre des poèmes murmurés à l’oreille. Un parapluie transformé en méduse offre une petite bulle où l’on peut écouter un poème. Des craies sont à disposition des petits comme des grands, pour ceux qui veulent laisser un mot, un ressenti, un poème. Pour écrire à même le sol, ou sur les murs de la Petite Maison de Poésie. Nous distribuons des programmes, nous présentons le festival, et nous récitons des poèmes aux passants qui traversent la place.

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Les enfants n’ont pas été oubliés. Ils sont venus relativement nombreux, grâce à la collaboration avec la bibliothèque Camille Claudel adjacente. Les employés de la bibliothèque ont proposé des ateliers d’écriture aux enfants, qui viennent à tour de rôle réciter au micro. Malgré leurs difficultés scolaires parfois évidentes, ils se sont vraiment prêtés au jeu, et ils ont été ravis de pouvoir partager leurs mots, avec des textes souvent très touchants.
À partir de 14 heures, le musicien Chakib ambiance l’espace avec les mélodies envoûtantes qui émanent de ses appareils électroniques. Il offre un accompagnement musical pour les poètes qui se succèdent au micro, avec une place d’honneur pour notre invité David Giannoni. C’est l’occasion pour moi d’entendre d’une nouvelle façon un poème que j’avais pu découvrir le matin même à l’université.





Olivier Baudouin a réalisé un montage en souvenir de cette après-midi dans le quartier Pasteur autour de la Petite Maison de Poésie, et l’a diffusé sur Facebook.

Une scène ouverte de slam-poésie
Troisième acte de cette folle journée, la scène ouverte de slam-poésie, à la Cave Romagnan, à 19h01 pétantes. C’est dans ce bar culturel et populaire, qui accueille notamment de nombreux artistes de jazz, que Pascal Giovannetti organise, une fois par mois, une scène ouverte de slam-poésie. Et, en ce mois de mars, la soirée s’inscrit dans le cadre des Journées Poët Poët.

Bien plus qu’un simple bar, la Cave Romagnan, tenue par Manu, est un vrai lieu populaire, où les Niçois se retrouvent pour jouer aux dominos ou à la belote, pour écouter des artistes de jazz, ou pour participer aux scènes ouvertes de slam de Pascal Giovannetti.
Celui-ci annonce en début de soirée qu’il utilise de moins en moins le terme de « slam », dans la mesure où, en France, on a tendance à oublier que le slam n’est rien d’autre qu’une scène ouverte, et surtout pas un genre particulier de poésie. Selon Pascal Giovannetti, certaines personnes, qui seraient tout à fait à leur place derrière le micro, ne s’autorisent pas à participer, parce qu’elles estiment que ce qu’elles écrivent n’est pas du slam. Il faut donc rappeler que toutes les formes d’expression sont bienvenues, du moment qu’elles respectent la durée impartie, et qu’elles ne s’accompagnent ni de musique, ni d’une mise en scène ostentatoire. La seule règle qui prévaut est la suivante : un poème dit, un verre offert !
Les participants se succèdent ainsi au micro, chaleureusement applaudis par le public. La salle est bien remplie, à la fois par les habitués de la Cave Romagnan et par les personnes attirées par le programme du Festival Poët Poët. Je n’ai pas compté, mais je pense qu’une bonne vingtaine de poètes ont présenté leurs univers respectifs. David Giannoni a tenu à rendre hommage à SeeJay, un ancien habitué de la Cave Romagnan qu’il a bien connu.

De façon tout à fait spontanée et improvisée, Sabine Venaruzzo, Sandrine Montin et moi-même préparons une petite surprise à David Giannoni. Nous apprenons par cœur un poéconte de David Giannoni, tout en distribuant au public de petits papiers qui contiennent chacun un mot du poème. Lorsque vient le tour de Sabine de déclamer, nous venons en trio, et nous récitons huit fois, de huit manières différentes, ce poème, avant de demander au public de prononcer, dans le désordre, les mots qu’ils ont reçus. Je me suis énormément amusé, cela va sans dire, et ce sont de tels moments qui font tous le sel des Journées Poët Poët ! David Giannoni, ému de cette surprise, a tout filmé, et a diffusé la séquence sur Facebook, ce qui vous permet de l’entendre à votre tour.
La soirée s’est terminée autour d’un repas partagé entre les poètes et les membres du PoëtBuro, dans un beau moment de joie et de convivialité.


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Cette première journée a donné le ton du festival : des instant de grâce, joyeux, irrévérencieux, populaires et festifs, mais aussi d’une grande profondeur et d’une grande authenticité. Les Journées Poët Poët s’adressent à la fois à l’Université et à la rue, aux futurs médecins comme aux gens du cru, dans le silence feutré des amphithéâtres et des bibliothèques comme dans l’agitation joyeuse des quartiers. La poésie peut tout aussi bien se murmurer et se hurler, et c’est toute cette diversité de tons que le festival entend célébrer.
Prochains événements à suivre : aujourd’hui samedi, cet après-midi, sur le quai Rauba Capéu, à Nice ; demain dimanche, au monastère de Saorge ; et lundi soir, à la librairie Masséna, à Nice. Le programme est téléchargeable ci-dessous.
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