Une heure de poésie avec Dominique Massaut

Il signe parfois du nom de DomM. Poète, slammeur, voyageur, rêveur, Dominique Massaut, parrain des Journées Poët Poët 2024, était mis à l’honneur par la radio belge, mercredi soir. Sur « La Première », de 22 h à 23 h, les auditeurs de la RTBF ont pu, une heure durant, voyager avec les mots de Dominique Massaut. J’ai écouté l’émission : compte-rendu.

Qui est Dominique Massaut ?

Dominique Massaut, lors de la « randocriture » du Festival Poët Poët 2024, à Aiglun

Poète, slammeur, virtuose, Dominique Massaut est une voix qui compte dans le paysage poétique belge contemporain. Né en 1959 à Liège, Massaut n’est pas simplement un poète, il est un véritable artisan du verbe, un animateur infatigable de la poésie vivante. Son œuvre, polymorphe et vibrante, se déploie aussi bien à travers les livres que les spectacles vivants et les supports sonores.

C’est dans les années 80 qu’il commence à faire parler de lui, travaillant avec des troupes de théâtre-action, orchestrant des « attentats poétiques », des « cabarets commandos » avec des collectifs comme Act.A. et le Domingo’s Band, au centre de jeunes La Zone de Liège. Mais c’est en 2005 qu’il marque un tournant décisif en introduisant le slam en Belgique francophone lors de la soirée du 30 juin au Centre culturel L’Aquilone à Liège, aux côtés de Tsunami MC. Un rendez-vous poétique qu’il a ensuite pérennisé. Depuis, il n’a cessé de faire vibrer les scènes slam de Belgique, de France et de Suisse.

Dominique Massaut ne se contente pas de dire des poèmes, il les vit, les incarne, faisant de chaque performance une expérience sensorielle unique. Ses spectacles de « poésie-action » et de spoken word, où il qualifie sa poésie de « gesticulée », sont des moments intenses d’émotion. Ex-membre du Big Band de Littératures féroces, il a collaboré avec de nombreux artistes pour créer des performances inoubliables.

Dominique Massaut est récemment intervenu plusieurs fois dans les Alpes-Maritimes. En août 2023, il était invité aux Rencontres de Paroles organisées à Aiglun par Patrick Quillier et Hoda Hili. Et en mars 2024, il était le parrain de la dix-huitième édition du Festival Poët Poët, organisé dans les Alpes-Maritimes par la compagnie « Une petite voix m’a dit » et les bénévoles du PoëtBuro, sous la houlette de Sabine Venaruzzo.

Le mercredi 5 juin 2024, Dominique Massaut a proposé un voyage sonore d’une heure sur les ondes de la radio publique belge. De 22h à 23h, les auditeurs de « La Première », une chaîne de la RTBF, ont ainsi pu suivre une aventure poétique pleine de fantaisie, porteuse d’un important message écologiste.

Un voyage poétique

Dominique Massaut au Centre Culturel La Coupole de La Gaude, lors du Festival Poët Poët 2024

Ce voyage poétique nous transporte à bord du « tramway de Bègles à Bordeaux ». Avec une diction très rythmée, le poète nous propose « un petit trajet inhabituel », « pour un prix concurrentiel », au pays des mots et des sonorités. L’auditeur, grâce à la musique, aux bruitages, et à la voix du poète, se laisse volontiers emporter dans cet univers de fantaisie.

Nous voici ensuite emmenés à Barjols, une commune varoise connue pour ses très nombreuses fontaines. Une voix off nous raconte le rôle social important qu’avaient, historiquement, ces fontaines : en Provence, les hommes allaient au bistrot, et les femmes allaient à la fontaine. Au-delà de leur utilité première, elles étaient un lieu de retrouvailles, d’échanges, de discussions…

C’est alors que le poète enchaîne avec un poème écologiste où apparaît toute l’hybris de l’être humain. L’homme a voulu jouer avec le feu, et celui-ci retombe sur nos forêts. L’eau, de même, nous revient sous la forme d’inondations. « L’atome t’a explosé entre les doigts », poursuit le poète. « Tu as burn-outé tous les tiens. » « Aujourd’hui ton sang se fige » dans tes propres « pesticides ». Dominique Massaut nous parle de l’Intelligence Artificielle, des plaisirs tout aussi artificiels de la pornographie, à mille lieues de l’ivresse du désir des corps qui se découvrent ou se redécouvrent.

À l’opposé de ce monde contemporain enlaidi par l’Homme lui-même, ce corps s’échoue sur une grève de sable gris, dans l’univers des « ploucs », des prétendus « primitifs », vierge de tout cet hybris. Dominique Massaut entreprend alors la litanie de tout ce qu’il rejette du monde contemporain : chez les « ploucs », il n’y a pas de bases de données, pas de bilans de compétences, pas de « soft skills », pas de franglais, pas de marketing, pas de sponsor, pas de storytelling, il n’y a plus que la simplicité de relations authentiquement humaines.

Dominique Massaut nous emporte alors dans l’univers de la viticulture. On entend, en voix off, des artisans du vin parler avec passion de leur métier. Et le poète enchaîne. Dans un verre de vin, il y a l’eau, la rosée, des veines, des chloroplastes, les mains des vendangeurs… Tout est lié, tout est dans tout, ce qui peut faire penser à la pensée bouddhiste de l’interdépendance, selon laquelle les choses n’existent pas en soi, indépendamment les unes des autres, mais toujours en lien avec tout le reste. Dans un verre de vin, il y a le ciel, le soleil, la sueur des vendangeurs, dont le poète égrène la litanie des prénoms…

Dominique Massaut, Sabine Venaruzzo, Sylvain et moi

« On a remonté le courant… » Le poète nous parle de cascades, de vasques fraîches. Aiglun. Des gens arrivent pour les « rencontres de la parole ». « Il y a, là-bas, le rythme des âmes, le pistil du crocus. » Dominique Massaut parle avec justesse de « l’homme qui traduit Pessoa », Patrick Quillier, et de « la femme qui concentre la galaxie dans le cœur des fleurs », dans laquelle on peut reconnaître Hoda Hili. J’ai été ému par ce passage qui évoque des lieux et des personnes qui me sont chers.

Puis, sans transition, nous voici emportés en Normandie, à la Maison de Poésie, et sur les rives de l’Eure. « L’Eure passe », nous dit le poète dans un savoureux jeu de mots. Dominique Massaut nous parle d’un espace-temps qui se trouve à l’écart de l’agitation quotidienne, mais au plus près du monde, de l’essentiel. « Il accompagne l’eau, lui colle au corps. (…) Les arbres plongent leur petite langue dans le fil de l’eau. »

*

Merci à Dominique Massaut pour ce voyage poétique, qui nous montre que la poésie contemporaine n’est pas toujours aussi élitiste qu’on le dit, et que l’on peut dire de façon simple des choses très profondes. Merci pour ce voyage au pays des mots, qui était aussi, indissociablement, un voyage au pays de l’humain. Merci pour cette description fine du monde contemporain, pour la peinture sans appel de la société qui est la nôtre, pour la condamnation du langage mercantiliste qui est tout l’opposé de la poésie. Merci pour la lueur d’espoir qui transparaît malgré tout, pour la foi en l’humain qui se devine, car l’être humain n’est pas seulement le destructeur, le corrupteur, le profiteur, il est aussi le vendangeur, le petit artisan, le passager du tram, la lavandière à sa fontaine… C’est résolument du côté des humbles, du côté des « ploucs », des gens simples, que penche le cœur du poète, et en eux, qu’une solution peut s’entrevoir, qui soit vraiment respectueuse de l’humain.

Vous venez de lire un article de la rubrique ACTUPO, consacrée à des annonces et à des compte-rendus d’événements poétiques, en l’occurrence la radiodiffusion de ces beaux poèmes de Dominique Massaut. À bientôt dans Littérature Portes Ouvertes !


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