De la dictée

Chaque semaine, chaque jour parfois, elle revient, implacable, à la même heure. Elle fait transpirer les plus téméraires, soupirer les plus studieux, et parfois même trembler les stylos. Redoutée par les élèves, adulée par certains enseignants, la dictée est ce rituel scolaire qui n’a jamais vraiment quitté les bancs de l’école. Mais au fond, que cherchons-nous vraiment à enseigner à travers elle : pousser à l’erreur en disséminant des pièges, ou faire accéder à la rigueur grammaticale ? La dictée n’est-elle qu’un souvenir d’école un peu poussiéreux ? Nous allons voir, bien au contraire, son intérêt. Et si on sortait la dictée de ses vieux souliers ? Si on la regardait autrement – non plus comme un outil de sélection, mais comme un tremplin pour apprendre, comprendre, et même… collaborer ?

Le mot « dictée » apparaît trente-neuf fois dans les nouveaux programmes du cycle 2 qui entreront en vigueur en septembre 2025, et six fois dans les nouveaux programmes du cycle 3 (qui n’entreront en vigueur que progressivement). C’est dire l’importance accordée, dans les plus hautes sphères, à cet exercice qui est une tâche reine des séances d’orthographe depuis toujours.

Une tâche complexe

Il faut dire que, parmi les exercices que l’on peut demander à des élèves, la dictée fait partie des plus difficiles. En effet, la dictée est un peu une synthèse de tout ce que l’on demande en orthographe aux élèves, c’est le lieu où toutes les règles apprises peuvent apparaître. Réussir une dictée suppose d’écouter, de transcrire les sons en unités graphiques, et d’y ajouter tout ce qui ne s’entend pas, et qui ne peut s’écrire correctement que par la maîtrise de nombreuses règles.

Aussi, bien longtemps, la dictée n’a-t-elle été qu’un exercice d’évaluation, réussi par les élèves forts en orthographe, moins bien réussi par les autres élèves. La dictée brute, en elle-même, telle qu’elle a longtemps été pratiquée, n’est guère une occasion d’apprentissage. Elle peut et doit être pratiquée, mais il faut être clair sur ce qu’on fait : si on n’y prend garde, on risque bien, avec la dictée, d’évaluer au lieu d’enseigner… Ce qui importe, plus que la dictée elle-même, c’est peut-être tout ce qui l’entoure…

Un entraînement quotidien

Les nouveaux programmes ont ceci de nouveau que, pour la première fois, ils imposent une fréquence aux différentes activités prévues, laissant de ce fait très peu de liberté aux enseignants quant à l’organisation des apprentissages. La dictée fait ainsi partie des exercices quotidiens, et si cette fréquence est si élevée, c’est précisément pour faire de la dictée un véritable entraînement, et non simplement une évaluation.

Au fil du cycle 2, il s’agit de dictées de lettres, puis de syllabes, puis de mots, puis de phrases, puis de textes. La dictée apparaît à la fois dans la rubrique « écriture » et dans la rubrique « grammaire et orthographe », ce qui montre bien qu’elle constitue une tâche complexe conjoignant de nombreuses compétences. Mais le mot « dictée » apparaît aussi comme exemple de réussite pour une compétence concernant le décodage des correspondances grapho-phonétiques : c’est un exercice d’encodage qui permet d’évaluer la maîtrise du décodage.

Voici ce que disent plus précisément les programmes :

« La dictée est dans un premier temps l’occasion de vérifier que l’articulation entre les sons entendus et leur codage graphémique est acquise. Elle doit aussi servir à mémoriser les graphèmes étudiés : comme la copie, la dictée porte sur des graphèmes, des syllabes, des mots puis de courtes phrases. Avant d’être un outil d’évaluation de l’orthographe, la dictée est bien une activité d’écriture permettant la maitrise du principe alphabétique et l’acquisition de l’encodage et du décodage. Les erreurs des élèves dans les dictées font partie de l’apprentissage et doivent, comme l’ensemble des erreurs, être accueillies comme un passage obligé, source de progrès. »

En somme, la dictée, ce n’est pas juste pour voir si on fait des fautes ! Elle sert d’abord à apprendre à bien relier les sons qu’on entend aux lettres qu’on écrit. Elle aide aussi à retenir comment s’écrivent certains sons, mots ou petites phrases. En fait, c’est un exercice pour mieux lire et mieux écrire. Et si on se trompe, ce n’est pas grave : les erreurs font partie de l’apprentissage et permettent de progresser.

La dictée se fait en lien avec l’étude des graphèmes et/ou l’étude de la langue. Elle est raccrochée à la leçon d’orthographe-grammaire.

Ce sont les programmes qui le disent : « Le professeur pratique différentes formes de dictées dont la visée est de faire acquérir des compétences orthographiques et méthodologiques. » Les programmes disent aussi que l’élève doit se familiariser « avec divers types de dictée ». Au-delà de la dictée traditionnelle, il y a d’autres formes de dictée qui peuvent être enrichissantes.

• La dictée à l’adulte, très pratiquée à l’école maternelle, ne disparaît pas à l’école élémentaire, y compris dans les grandes classes. Il s’agit des moments où c’est l’adulte qui prend en charge l’écriture, et écrit les idées énoncées par les élèves. Elle permet notamment de structurer un échange oral (prise en note par l’adulte des idées des élèves). Elle permet aussi à l’enseignant de pointer certains faits orthographiques.

• La dictée négociée m’a été présentée lors de mon année de stage par Nathalie Leblanc. Elle se présente en trois phrases : 1) dans un premier temps, chaque élève écrit individuellement le texte dicté ; 2) dans un deuxième temps, chaque groupe négocie pour parvenir à une version unique au sein du groupe ; 3) dans un troisième temps, on confronte finalement les productions de chaque groupe, dans l’espoir de parvenir à une version sans fautes, et c’est bien sûr l’occasion de réexpliquer les règles.

• L’autodictée consiste à apprendre par cœur un texte et à l’écrire. Les élèves ont donc eu le texte de la dictée à l’avance, ils ont pu en travailler les difficultés en amont. Une variante est la dictée murale, où le texte est affiché à distance des élèves, ce qui suppose un travail de mémorisation (ce n’est pas juste de la copie).

• La dictée flash est le nom d’une dictée très courte, permettant notamment de pointer un fait orthographique particulier. C’est un nom qui sonne « moderne », mais ça se pratique depuis très longtemps. Je me souviens que, lorsque j’étais au CM1, j’avais une « petite dictée » les lundis, mardis et jeudis, avant la « grande dictée » d’évaluation du vendredi. C’est un dispositif encore courant aujourd’hui.

• La twictée est une dictée collaborative et interactive entre classes, fondée sur les réseaux sociaux. Elle a un aspect ludique indéniable. Les classes se relisent l’une l’autre, et justifient leurs choix.

  • Clarifier les objectifs : La dictée ne doit pas être une activité punitive ou simplement évaluative. Elle doit répondre à des objectifs précis (étude d’un graphème, révision d’accords, mise en œuvre d’une notion).
  • Varier les formes de dictée : Les différentes formes de dictée permettent de travailler la mémorisation des graphies correctes et la réflexion métacognitive. On réfléchit, on explique, on confronte des points de vue, on fait rappeler les règles par les élèves eux-mêmes.
  • Encourager la verbalisation et la justification : Permettre aux élèves de justifier leurs choix orthographiques aide à fixer les règles. Les dictées avec interaction (type Twictée ou négociée) renforcent la métacognition.
  • Valoriser la coopération : La correction croisée ou collective développe les compétences langagières et l’entraide entre pairs. Il importe de créer un climat bienveillant autour de l’erreur, et de vraiment poser son repérage comme un moyen de progresser.

Afin d’aider les élèves en difficulté et les élèves à besoins particuliers, la différenciation pédagogique peut prendre plusieurs formes :

  • Des aides sous formes de mémos ou d’affichages, accessibles à tous ou à certains ;
  • Une longueur différente selon le niveau ;
  • Une préparation différente (la plupart ont juste la règle et certains ont eu le texte même de la dictée ; la plupart ont préparé seuls mais certains ont préparé avec l’enseignant) ;
  • Une part active dans la phase de mise en commun : l’enseignant interrogera en priorité les élèves en difficulté afin de favoriser la métacognition et la verbalisation des procédures.
  • La production d’un deuxième jet pour ceux qui en ont besoin
  • Une évaluation qui tienne compte des progrès et pas seulement du niveau brut.

*

Longtemps vue comme l’épreuve redoutée du vendredi matin, la dictée fait aujourd’hui peau neuve et s’invite dans la cour des activités vraiment utiles — et parfois même sympas ! Quand on sort du schéma « je dicte, tu souffres, il corrige », elle devient un super outil pour apprendre, réfléchir, coopérer, et progresser sans stress. Dictée négociée, dictée flash, Twictée… il y en a pour tous les goûts et tous les profils. Mieux : on peut se tromper, en discuter, et en tirer quelque chose ! Bref, la dictée, bien pensée et bien dosée, c’est un vrai terrain de jeu orthographique où chacun peut avancer à son rythme. Et si on transformait les fautes en tremplins ?

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