Il suffit, pour présenter Peaux mortes de Tristan Sénéca, de dire que c’est le cri, brut de décoffrage, d’un écorché vif. C’est cela qui séduit à la lecture, et cela que l’auteur cultive : le refus de toute compromission, le refus de réduire le beau au joli, le refus de céder aux convenances. Il y a des limbes d’Artaud, du cahier de damné de Rimbaud, de l’absinthe de Verlaine et sans doute du Genet, dans ce texte prenant qui est avant tout un cri, une expression de soi, face à une société qui, bien qu’elle s’en défende, a encore du mal à accepter la différence.
L’autobiographie n’est plus, depuis longtemps, le récit chronologique ordonné de la vie de son auteur. On laisse ce genre de témoignages aux gens qui ne sont pas écrivains, et qui ont, pour des raisons souvent légitimes, besoin de raconter leur vie, ce qui donne des livres intéressants mais qui ne sont pas de la littérature de création. On sait que ce genre de récit ordonné n’est qu’une reconstruction des faits. Quand on est un écrivain, on peut parler de soi, mais pour faire autre chose : poésie, autofiction, peu importe le nom.
Tristan Sénéca a choisi de se représenter en accusé d’un tribunal imaginaire. Ce qu’on lui reproche ? D’être en dehors des cases proprettes où la société veut ranger chacun. La plaidoirie vire souvent au réquisitoire, livrant un portrait sans concessions, intus et in cute, d’un homme qui ne cache rien de ses excès, et qui se donne tout entier dans son cri. De la première à la dernière ligne, s’il est une chose dont on ne peut pas douter, c’est de l’authenticité de ce cri.
Tout à fois juge et partie, Tristan Sénéca se montre ivrogne, rêveur, sensuel, poète, drogué… Il revendique haut et fort de ne pas être le gendre idéal. Il préfère s’encanailler dans les milieux glauques, faire des rencontres aussi intenses qu’éphémères, se frotter à la peau livide d’un éphèbe, et tutoyer le sublime au plus près de l’abîme.
Peut-être que Tristan Sénéca, dans les années vingt du vingt-et-unième siècle, explore à nouveaux frais ce que, dans les années vingt du dix-neuvième, on a appelé le romantisme ? Je ne suis pas sûr qu’il serait d’accord, car ce serait encore une étiquette, mais il y a bien de cela dans ce personnage hyperactif et décalé, tendre et grotesque, angélique et démoniaque, hideux et pur, sensuel et sublime…
Portrait d’un docteur ès lettres en moine défroqué, parade sauvage d’un homme à la sensibilité exacerbée, chant du cygne d’un romantique dans un monde prosaïque, coming out d’un poète… Peaux mortes est un livre intense, puissant, et dans lequel on se reconnaît forcément. Car c’est bien en puisant dans l’intime qu’on accède à l’universel…
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