J’avais treize ans en l’an 2000. J’ai davantage vécu au XXIe siècle qu’au XXe. Je me souviens du feu d’artifice du 31 décembre 1999. Raconter l’histoire du XXIe siècle, c’est donc s’intéresser à une histoire que nous avons vécue. Dont nous avons vu les images à la télévision. Qui nous a en partie façonné.
Après mes articles d’histoire littéraire sur chacun des siècles passés, je voudrais m’intéresser au présent. Et c’est la spécificité de notre temps que je voudrais saisir. Revenant pour cela sur les grands événements qui ont fait l’actualité depuis l’an 2000.
Où commence le XXIe siècle ?
Les siècles des historiens ne sont pas ceux des mathématiciens. Ainsi, par exemple, 1789 ou 1815 sont deux dates bien plus marquantes que 1800 pour faire débuter le XIXe siècle. Et de même, 1914 marque sans doute le début du XXe siècle, bien plus que l’année 1900.
La fin du monde bipolaire
D’abord, la fin de la « guerre froide », avec la chute du mur de Berlin (1989) et la fin de l’URSS (1991). C’est une date très importante, puisqu’elle modifie un ordre du monde né en 1945. Depuis la fin de la guerre mondiale, la planète était divisée entre deux blocs antagonistes – le bloc de l’Ouest, capitaliste et libéral, mené par les États-Unis, et le bloc de l’Est, prétendument communiste, dirigé par l’URSS. Leur disparition a clos l’ère de la Guerre froide. Ces événements symbolisent l’entrée dans une époque marquée par d’autres enjeux : un monde désormais unipolaire, marqué par la toute-puissance des États-Unis, mais où de nombreux pays émergent et veulent aussi leur part de la richesse mondiale…
Le choc du 11 septembre 2001
Un deuxième événement marquant me semble pouvoir être choisi comme point de départ du XXIe siècle : les attentats contre le World Trade Center et le Pentagone, le 11 septembre 2001. Je me souviens très bien du choc que représentaient les images des tours jumelles en feu, reprises en boucle sur les chaînes d’information. Ces attentats spectaculaires s’en prenaient à des symboles forts de l’hyperpuissance américaine. Ils marquent un changement géopolitique : la guerre n’a désormais plus nécessairement lieu entre États, mais aussi contre des organisations moins aisément identifiables, comme Al-Qaida, puis « l’État islamique ». Les terroristes cherchaient non seulement à dénoncer l’ingérence occidentale dans le monde musulman, mais aussi à provoquer une réaction militaire disproportionnée susceptible de favoriser le rejet de l’Occident chez les musulmans.
Ces deux événements ont indirectement marqué la France. La fin de l’URSS a ouvert une période d’optimisme, d’élargissement européen et de réorientation stratégique. Le 11 septembre a marqué un basculement vers une ère d’insécurité, de méfiance et de priorités sécuritaires, influençant durablement la politique étrangère et intérieure française.
Les années Chirac et la surprise de l’élection présidentielle de 2002
La victoire française à la Coupe du monde de 1998 manifestait la réussite d’une France multiculturelle. Le héros de la Nation s’appelait Zidane. Le XXIe siècle aurait pu s’ouvrir sur une période de rapprochement des communautés et de fraternité entre tous les citoyens. Mais les attentats du 11 septembre ont ravivé la méfiance. En 2002, Jean-Marie Le Pen arrive au second tour de l’élection présidentielle, devançant le candidat socialiste Lionel Jospin. Je me souviens très bien du journal télévisé de l’époque, où Patrick Poivre-d’Arvor, ne pouvant annoncer les résultats avant vingt heures, parlait à mots couverts d’une « surprise ».
Ce succès de l’extrême-droite, un an après les attentats du World Trade Center, pourrait-il s’expliquer par la peur soudaine ressentie par les Français envers leurs immigrés musulmans ? D’autres attentats auront eu lieu dans les années 2010, qui compliqueront la communication entre les communautés : le Bataclan, l’Hyper Casher, Charlie Hebdo, et le massacre de Nice du 14 juillet 2016. Au-delà du bilan humain immédiat, les terroristes cherchent surtout à instiller la peur dans les consciences. Ils cherchent à rendre difficile la fraternité interreligieuse, et ils y réussissent assez bien. La prolifération de discours anti-musulmans sur les réseaux sociaux le montre bien. Depuis 2001, l’extrême-droite ne cesse de progresser, favorisée par cette multiplication des attentats, mais aussi par une droite qui récupère de plus en plus son discours, et par une gauche trop divisée pour réellement peser.
Globalement, cette montée de l’extrême-droite s’explique aussi par un ras-le-bol généralisé d’une grande partie de la population, laissée à l’écart de la prospérité. Depuis le début du XXIᵉ siècle, les économies occidentales ont connu une croissance inégalement répartie : en France, par exemple, le revenu médian a progressé bien plus lentement que les revenus des 10 % les plus riches, tandis que les zones industrielles frappées par les délocalisations ont vu l’emploi se raréfier. Les chiffres de l’INSEE montrent que le taux de pauvreté, autour de 13 % en 2001, n’a pas diminué durablement, et a même augmenté après la crise financière de 2008.
Les années Chirac : cohabitation et quinquennat
Sous Jacques Chirac (1995-2007), la France connaît une présidence marquée par la cohabitation (1997-2002) avec Lionel Jospin, la dissolution ratée de l’Assemblée, et l’adoption de l’euro. Son second mandat est dominé par le refus de la guerre en Irak (2003), le rejet du traité constitutionnel européen (2005) et des tensions sociales (émeutes urbaines de 2005).
La cohabitation entre Jacques Chirac et Lionel Jospin (1997-2002) voit la mise en œuvre d’un programme de gauche marqué par plusieurs réformes sociales. Le gouvernement Jospin instaure notamment les 35 heures pour favoriser l’emploi et améliorer la qualité de vie. Il crée la Couverture Maladie Universelle (CMU), garantissant l’accès aux soins pour les plus modestes. Le PACS est adopté, ouvrant un cadre juridique aux couples non mariés, y compris homosexuels. Des emplois-jeunes sont lancés pour insérer les moins de 26 ans sur le marché du travail. La prime pour l’emploi est instaurée afin de soutenir les bas revenus. Cette période reste ainsi associée à une volonté de renforcer le modèle social français malgré les contraintes budgétaires et européennes.
Le passage aux 35 heures (loi Aubry) visait une amélioration des conditions de travail, tout en favorisant l’embauche : les entreprises étaient censées embaucher pour compenser le fait que leurs salariés travaillaient moins longtemps. Celles-ci n’ont pas toujours réellement joué le jeu, préférant demander à leurs salariés de faire en 35 heures ce qu’ils faisaient en 39, sans embaucher davantage de personnel. Sans doute aurait-il fallu que la réduction du temps de travail soit encore plus importante, pour réellement contraindre les employeurs à embaucher.
En 2003, la France, sous la présidence de Jacques Chirac, refuse de soutenir l’intervention américaine en Irak, dénonçant une guerre sans mandat clair de l’ONU. Le ministre des Affaires étrangères, Dominique de Villepin, prononce un discours mémorable à l’ONU, plaidant pour la paix et le respect du droit international. Cette prise de position renforce la stature diplomatique de la France mais crée des tensions avec les États-Unis. Ce refus symbolise aussi un rejet d’une politique unilatérale et un engagement pour la souveraineté des nations. Ce moment marque durablement la politique étrangère française du début du XXIe siècle.
Lors de l’élection présidentielle de 2002, Jacques Chirac est réélu face à Jean-Marie Le Pen, qualifié de manière surprenante pour le second tour. Dans son discours d’entre-deux-tours, Chirac adopte un ton ferme contre l’extrême droite, dénonçant le racisme, l’intolérance et la division. Il appelle à l’unité nationale et au refus de la haine pour protéger les valeurs républicaines.
Le Traité établissant une Constitution pour l’Europe, adopté en 2004 par les dirigeants européens, visait à simplifier et renforcer le fonctionnement de l’Union européenne. En France, un référendum est organisé en mai 2005 pour ratifier ce texte. Contre toute attente, les Français rejettent le traité avec près de 55 % de votes « non ». Ce rejet traduit un malaise profond face à la construction européenne, perçue comme éloignée des citoyens et trop technocratique. Plusieurs raisons expliquent ce vote : la crainte de la perte de souveraineté nationale, une méfiance envers la mondialisation et ses effets sociaux, notamment la peur du chômage et de la dérégulation. Le texte est aussi jugé trop complexe et abstrait pour être compris par le grand public. Et sans doute aussi trop favorable aux puissances de l’argent. Enfin, un certain rejet du « oui » est aussi lié à un vote de protestation contre le gouvernement Chirac-Jospin. Ce refus entraîne une crise politique majeure en Europe et force les institutions à repenser leur méthode d’intégration.
Cependant, plusieurs dispositions du traité constitutionnel de 2005 ont été intégrées plus tard dans le Traité de Lisbonne, signé en 2007 et entré en vigueur en 2009. Ce traité reprend une grande partie des réformes institutionnelles initialement prévues, comme la création du poste de président permanent du Conseil européen, le renforcement du rôle du Parlement européen, ou encore la simplification des prises de décision à la majorité qualifiée.
Toutefois, le Traité de Lisbonne évite de parler explicitement de « Constitution » pour contourner les réticences populaires et adopte une approche plus pragmatique, évitant le référendum dans plusieurs pays, dont la France. Ainsi, même si le traité de 2005 a été rejeté, plusieurs de ses dispositions ont fini par s’imposer, façonnant durablement l’Union européenne. En retour, cela a pu contribuer à créer chez les électeurs de la méfiance envers les institutions, et expliquer en partie le fort taux d’abstention.
Le quinquennat de Nicolas Sarkozy
Nicolas Sarkozy (2007-2012) incarne un style présidentiel plus direct et médiatique, axé sur les réformes économiques et sécuritaires. Son quinquennat affronte la crise financière mondiale de 2008, des réformes des retraites et de l’université, mais aussi des polémiques sur l’immigration et l’identité nationale.
Sous Sarkozy, les réformes s’accélèrent : nouvelles restrictions sur les retraites (2010), réduction du nombre de fonctionnaires, durcissement de l’assurance chômage et flexibilisation du marché du travai. Parallèlement, la crise financière de 2008 aggrave les inégalités, avec un chômage persistant et une pression accrue sur les classes populaires et moyennes.
La crise financière de 2008, déclenchée par l’effondrement des prêts hypothécaires à risque aux États-Unis, provoque une crise mondiale majeure. En France, elle entraîne une hausse du chômage, un ralentissement économique et des difficultés pour les banques. Le gouvernement Sarkozy réagit par des plans de soutien aux banques et des mesures de relance pour éviter une récession profonde. Toutefois, la crise accentue les inégalités sociales et fragilise la confiance envers les élites politiques. Cette période marque le début d’un tournant vers des politiques d’austérité dans les années suivantes.
La réforme de l’Université, notamment la loi LRU de 2007, s’inscrit dans le cadre du processus de Bologne visant à harmoniser les systèmes universitaires européens. Elle favorise l’autonomie des établissements et encourage la recherche orientée vers des résultats concrets et commercialisables. Cette orientation privilégie les financements privés et les appels à projets compétitifs, souvent axés sur l’innovation technologique ou appliquée. En conséquence, la recherche fondamentale, notamment en lettres et sciences humaines, qui ne génère pas directement de retombées économiques, souffre d’un désengagement financier et institutionnel. Cette évolution fragilise ces disciplines, et plus largement la capacité des Universités à mener des travaux à long terme et indépendants des contraintes commerciales.
Les années Hollande
L’arrivée de la gauche au pouvoir en 2012, avec François Hollande, suscite un fort espoir de changement après dix ans de droite. Beaucoup attendent des réformes sociales ambitieuses, une relance économique et un apaisement politique. Cependant, cet optimisme est rapidement tempéré par la réalité : la France fait face à une crise économique persistante, avec un chômage élevé et une croissance molle, limitant la marge de manœuvre gouvernementale. Parallèlement, une vague d’attentats terroristes (notamment en 2015) plonge le pays dans l’angoisse et impose un durcissement sécuritaire. Ce double choc économique et sécuritaire freine les ambitions initiales et alimente une désillusion croissante chez une partie des citoyens.
La loi sur le mariage pour tous, adoptée en France en 2013, a suscité des débats et des polémiques particulièrement vifs, bien plus que dans certains autres pays. Cela s’explique d’abord par la dimension symbolique très forte du mariage dans la société française, considéré comme un pilier fondamental lié à la famille, à la filiation et à la transmission. Alors même que la sécularisation est plus avancée en France que dans d’autres pays, les milieux catholiques conservateurs se sont farouchement opposés au mariage homosexuel. La mobilisation importante d’opposants issus de milieux religieux, conservateurs, royalistes ou proches de certaines conceptions traditionnelles de la famille a largement amplifié la visibilité et l’intensité du conflit. Le débat politique a été très polarisé, cristallisant les tensions entre une gauche progressiste et une droite conservatrice, ce qui a accentué le climat conflictuel. Enfin, la médiatisation intense, notamment via les réseaux sociaux où la parole homophobe s’est copieusement déversée, a fait de cette réforme un véritable choc des valeurs au sein de la société française.
Christiane Taubira, ministre de la Justice de 2012 à 2016, a été une figure clé de la loi sur le mariage pour tous. Elle a défendu avec force cette réforme, mettant en avant l’égalité des droits et la justice sociale. Son discours passionné à l’Assemblée nationale a marqué les esprits, incarnant la détermination du gouvernement face aux oppositions. Son engagement a fait d’elle un symbole fort de la lutte contre les discriminations en France.
La nomination d’Emmanuel Macron, banquier chez Rotschild, comme ministre de l’Économie en 2014, peut être vue comme un signe d’un virage plus à droite de la politique de François Hollande. Les contraintes économiques, la pression des marchés et la nécessité de gouverner dans un contexte difficile ont conduit à un recentrage vers des politiques plus libérales ou néo-libérales, parfois en contradiction avec les attentes initiales de la gauche et de son électorat. Cela illustre la difficulté pour les gouvernements de gauche de concilier promesses sociales et réalités économiques.
Le bilan de François Hollande ? Selon moi, on peut reconnaître que, même s’il n’a pas réussi à mettre en oeuvre tout ce qu’il espérait, il a sans doute fait moins de mal que d’autres. Si ses réformes ont parfois suscité des controverses, son quinquennat a néanmoins évité des bouleversements brutaux et préservé un certain équilibre social. Dans un contexte de crise persistante, son action peut être interprétée comme une gestion pragmatique, tentant de concilier contraintes économiques et attentes citoyennes. Ainsi, malgré des résultats contrastés, Hollande demeure une figure qui a limité les ruptures sociales majeures, et a fait montre de réalisme, de modération et de recherche du consensus. Ce positionnement explique en partie la perception d’un mandat aux effets plutôt tempérés.
L’accession d’Emmanuel Macron au pouvoir
L’élection d’Emmanuel Macron en 2017 marque une nouvelle rupture dans le paysage politique français. Candidat issu d’un mouvement nouveau, « La République en Marche », il incarne une offre politique prétendant s’émanciper du clivage gauche/droite. Sa victoire reflète un désir de renouvellement, porté par un discours pragmatique, pro-européen et réformiste. Il bénéficie aussi du rejet des partis établis, notamment le PS et Les Républicains, affaiblis par des divisions internes. Macron s’impose face à Marine Le Pen, en mobilisant largement contre l’extrême droite, et promet une modernisation économique et sociale du pays. Son élection symbolise une recomposition politique profonde, avec un président doté, au départ, d’une forte majorité parlementaire.
Emmanuel Macron apparaît en réalité pleinement compatible avec les attentes du monde de la finance, tant par son parcours que par ses choix politiques. Ancien banquier d’affaires chez Rothschild, il connaît parfaitement les mécanismes financiers et entretient des relations étroites avec les milieux économiques. Dès le début de son mandat, il a engagé des réformes favorables aux entreprises : réduction de l’impôt sur la fortune, baisse du taux de l’impôt sur les sociétés, et flexibilisation du marché du travail. Sa politique pro-business vise à attirer les investissements et à renforcer la compétitivité de la France dans un contexte de globalisation. Par ailleurs, son discours européen et son engagement en faveur d’une intégration économique renforcée rassurent les acteurs financiers, pour qui la stabilité et la prévisibilité sont essentielles. Ainsi, loin d’un centrisme apparent, Macron incarne un libéralisme assumé, en phase avec les attentes du secteur financier.
Les mesures sociales et progressistes adoptées sous le quinquennat d’Emmanuel Macron ne sont pas inexistantes, mais elles sont limitées. Elles sont souvent conditionnées par leur faisabilité budgétaire. Cette approche pragmatique se prive ainsi de politiques redistributives plus ambitieuses, au détriment d’une grande partie de la population française. En ce sens, l’action gouvernementale se caractérise par une articulation entre un libéralisme économique affirmé et des concessions sociales limitées.
La France face à la pandémie
La survenue de la pandémie de COVID-19 en début 2020 constitue un choc sans précédent en France et dans le monde. Elle contraint de nombreux États, dont la France, à recourir au confinement généralisé de la population. Les citoyens n’ont plus guère accès au monde extérieur qu’à travers la lucarne de leur télévision, qui relaie des images terribles d’hôpitaux saturés, de patients intubés, de cercueils entassés. Le monde entier vit dans la peur. L’humanité avance au ralenti : les rues sont vides, les aéroports sont fermés, la plupart des gens n’ont pas d’autre choix que de rester chez eux.
Le ton des images change radicalement quand il s’agit de procéder au déconfinement et de ramener les Français au travail. La maladie n’est alors plus présentée comme si terrible. Les journaux télévisés martèlent l’urgence économique de remettre la France au travail, là où la veille, ils insistaient sur le devoir moral de rester chez soi pour ne pas risquer de contaminer des personnes fragiles. Les grands journaux télévisés apparaissent alors comme de puissants instruments de propagande, qui ne cachent pas leur intention d’agir sur le peuple, qu’il s’agisse de le faire se confiner ou se déconfiner.
La pandémie de COVID-19 a ainsi suscité un débat sur ses effets sur la démocratie en France. L’instauration de l’état d’urgence sanitaire a permis au gouvernement de prendre des décisions par ordonnances, réduisant le rôle du Parlement et le contrôle démocratique habituel. Les restrictions de circulation, les fermetures administratives et les limitations des rassemblements, bien que justifiées par la protection de la santé publique, ont temporairement restreint des libertés fondamentales. Le pass sanitaire puis le pass vaccinal ont renforcé les tensions, alimentant un sentiment de contrôle accru de l’État sur la vie quotidienne. Cette situation a favorisé une polarisation de l’opinion publique, opposant partisans de la rigueur sanitaire et défenseurs des libertés individuelles. Les manifestations contre ces mesures ont révélé une défiance croissante envers les institutions. En concentrant le pouvoir exécutif et en réduisant l’espace du débat, la gestion de la pandémie a soulevé la question de l’équilibre entre sécurité sanitaire et préservation des principes démocratiques.
Il convient de distinguer le début de la crise, où l’on ignorait presque tout du virus et où il a bien fallu décider dans l’urgence, et la suite de la gestion de la pandémie. Si l’improvisation était inévitable au départ, elle l’était beaucoup moins par la suite.
La crise sanitaire a profondément marqué le système éducatif français, au-delà même de la période de confinement. La fermeture prolongée des établissements scolaires, suivie d’un enseignement à distance souvent improvisé, a creusé les inégalités entre élèves selon leur environnement familial, leur accès au matériel numérique et leur autonomie dans le travail. La rupture du lien direct avec les enseignants et les pairs a également eu un impact sur la motivation, le sentiment d’appartenance et la socialisation des jeunes.
Le retour en classe, sous protocoles stricts, a lui aussi eu des conséquences négatives. Le port du masque, imposé pendant de longs mois, a entravé la communication verbale et non verbale, perturbé l’apprentissage de la lecture et de la prononciation chez les plus jeunes, et contribué à un sentiment de froideur et de distance relationnelle. Cette barrière physique et symbolique a accentué l’isolement émotionnel et rendu plus difficile l’expression des émotions et l’empathie entre élèves et enseignants.
Sur le plan psychologique, la répétition des discours alarmistes, l’incertitude quant à l’avenir, et la crainte constante de la maladie ont généré un climat anxiogène, parfois durable, notamment chez les enfants et adolescents. Toute une génération d’enfants a été exposée à l’idée récurrente qu’eux-mêmes ou leurs proches pouvaient mourir à tout moment, ou qu’ils pouvaient involontairement transmettre une maladie mortelle aux personnes qu’ils aiment. Ce traumatisme latent a pu altérer la confiance en soi, la capacité de projection et, pour certains, provoquer un désengagement scolaire. Les effets cumulatifs de cette crise — pertes d’apprentissages, fragilisation psychologique, sentiment d’isolement — pourraient se faire sentir pendant plusieurs années, posant un défi majeur à la politique éducative et à la prise en charge de la santé mentale des élèves.
La réélection d’Emmanuel Macron
La réélection d’Emmanuel Macron en 2022 s’est déroulée dans un contexte politique fragmenté : s’il a de nouveau devancé Marine Le Pen au second tour, celle-ci a obtenu un score record pour l’extrême-droite dans une présidentielle, confirmant sa progression constante depuis deux décennies. Cette dynamique s’est traduite aux législatives par une percée historique du Rassemblement national, désormais force incontournable à l’Assemblée. Face à cela, la gauche, réunie sous la bannière du Nouveau Front populaire, a certes réalisé un retour en force mais sans parvenir à constituer une majorité, ce qui l’a empêchée de désigner un Premier ministre issu de ses rangs. Cette configuration inédite a plongé le pays dans une situation de majorité relative durable, contraignant le président à des alliances ponctuelles et instables. La montée simultanée de l’extrême-droite et l’absence de majorité de gauche accentuent la polarisation politique et transforment le paysage parlementaire, révélant une profonde crise de représentation au sein de la Ve République.
Un monde en guerre
Depuis le début du XXIᵉ siècle, la démocratie recule dans de nombreuses régions du monde, y compris là où elle semblait solidement installée. Les régimes autoritaires gagnent du terrain, tandis que plusieurs démocraties basculent vers des formes hybrides mêlant institutions électives et restrictions des libertés. Des pays comme la Turquie, la Hongrie ou l’Inde ont vu leur pluralisme affaibli par un contrôle accru des médias, une instrumentalisation de la justice et une concentration du pouvoir exécutif. En Russie ou en Chine, la répression politique s’accentue, tandis que dans certaines démocraties occidentales, la défiance envers les institutions nourrit la montée des partis populistes et la remise en cause des contre-pouvoirs. Les crises économiques, migratoires, sanitaires et climatiques servent souvent de prétexte à restreindre les droits fondamentaux au nom de l’efficacité ou de la sécurité. Ce mouvement global fragilise l’État de droit, réduit l’espace civique et affaiblit la confiance des citoyens dans le processus démocratique.
Depuis février 2022, l’invasion de l’Ukraine par la Russie a ravivé en Europe un conflit de haute intensité que l’on croyait relégué au passé. Cette guerre, la plus grave sur le continent depuis 1945, se déroule aux portes de l’Europe occidentale, à quelques centaines de kilomètres de l’Union européenne. Moscou justifie son offensive par des arguments géopolitiques et historiques, rejetés par la communauté internationale qui y voit une violation flagrante du droit international. Les combats ont provoqué des dizaines de milliers de morts, des destructions massives et le déplacement de millions de réfugiés. Les pays de l’OTAN et de l’UE soutiennent militairement, financièrement et diplomatiquement Kiev, tout en évitant une confrontation directe avec la Russie. Les sanctions économiques imposées à Moscou visent à affaiblir son effort de guerre, mais pèsent aussi sur les économies européennes. Le conflit a relancé les débats sur la souveraineté énergétique, la défense européenne et la sécurité collective. Alors que les lignes de front évoluent lentement, la perspective d’une paix durable reste incertaine. Cette guerre rappelle brutalement que l’Europe n’est pas à l’abri de la violence armée.
Le conflit israélo-palestinien, qui dure depuis des décennies, a connu de nouveaux épisodes dramatiques, notamment depuis l’attaque massive du Hamas contre Israël le 7 octobre 2023, qui a fait des centaines de morts et des milliers de blessés. En réponse, Israël a lancé une offensive militaire d’ampleur dans la bande de Gaza, entraînant un lourd bilan humain et des destructions considérables. Les combats ont provoqué une grave crise humanitaire, avec des centaines de milliers de déplacés, des pénuries d’eau, de nourriture et de médicaments. La communauté internationale multiplie les appels à un cessez-le-feu et à la protection des civils, tandis que les tentatives de médiation peinent à obtenir des résultats concrets. Ce nouvel embrasement s’inscrit dans un cycle de violences récurrent. Les tensions régionales s’intensifient, avec le risque d’un élargissement du conflit au Liban, en Syrie ou en Iran. Malgré les appels au dialogue, la méfiance mutuelle et les blessures accumulées rendent toute solution politique particulièrement difficile.
Ces conflits soulèvent la question d’un retour possible à une nouvelle guerre froide ou même du risque d’un conflit mondial. On peut voir dans ces rivalités un affrontement indirect entre grandes puissances, notamment entre la Russie et l’Occident, ou entre les États-Unis et la Chine, qui rappellerait la bipolarité de la guerre froide, avec des zones d’influence disputées et une course aux armements. On a ainsi vu que l’accès aux terres rares était l’une des clefs de la guerre en Ukraine. Toutefois, contrairement à la guerre froide du XXe siècle, le contexte géopolitique actuel est plus multipolaire et marqué par des interdépendances économiques fortes, ce qui rend un conflit global moins probable. Le risque d’escalade existe, notamment avec la prolifération d’armes nucléaires et les crises régionales, mais les acteurs internationaux cherchent aussi à éviter une confrontation directe, privilégiant la guerre par procuration, les sanctions économiques et la diplomatie. Si la menace d’un conflit mondial demeure, la situation actuelle s’apparente davantage à une guerre froide réinventée, avec des tensions exacerbées mais une guerre totale encore évitée.
La contestation en France : Nuit debout et gilets jaunes
La contestation sociale en France au cours de la dernière décennie a pris plusieurs formes majeures, marquant différentes étapes de mobilisation citoyenne. En mars 2016, le mouvement Nuit debout émerge à Paris, rassemblant des milliers de manifestants autour d’une occupation pacifique des places publiques pour dénoncer les réformes du travail et le manque de démocratie. Puis, en 2018, éclate la crise des Gilets jaunes, à l’origine d’une contestation contre la hausse des taxes sur le carburant, qui se transforme rapidement en un mouvement plus large dénonçant les inégalités sociales et le sentiment d’abandon des classes populaires. Cette mobilisation, marquée par des manifestations souvent violentes et une forte médiatisation, dure plusieurs mois. Parallèlement, le projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes, contesté depuis les années 2000, connaît un épisode décisif en 2018 avec l’évacuation musclée de la ZAD (Zone à défendre), suscitant une forte opposition environnementale et politique. Ces trois mouvements reflètent la diversité des revendications sociales et écologiques en France, mais aussi la difficulté des gouvernements à apaiser des colères profondes et persistantes. Le mouvement « Bloquons tout ! », à l’automne 2025, n’en est que le prolongement.
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Finalement, le premier quart du XXIe siècle ressemble peu à ce qu’il promettait d’être. Loin de voir la paix, la fraternité et la prospérité unir les peuples, il a été marqué par des inégalités toujours plus vives, qui se résolvent parfois dans la violence. Contre toute attente, il a vu réapparaître deux réalités qu’on aurait pu croire appartenir au passé : la pandémie et la guerre. La pandémie, comme au temps des grandes pestes. Et la guerre, malgré les « plus jamais ça ». Le ressenti majoritaire est sans doute que l’avenir sera globalement moins agréable que le présent, à l’échelle des peuples s’entend. Et cela, c’est très inquiétant.
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excellent résumé, pondéré et juste, et qui permet d’y voir un peu plus clair ! Démocrates , pacifistes de tous horizons, réveillez-vous !
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Merci !
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