L’histoire du théâtre en dix minutes

Avant Netflix, il y avait Sophocle. Avant les pop-corn, des masques en bois et des dieux en colère sur scène. En dix minutes chrono, embarquez pour un voyage express à travers les coulisses de l’humanité : bienvenue dans l’histoire du théâtre — là où tout est faux, sauf les émotions.

Acte de naissance : la Grèce antique

Savez-vous quelle est la plus vieille pièce de théâtre connue ? Il s’agit des Perses d’Eschyle (Πέρσαι), jouée pour la première fois en 472 avant J.-C. à Athènes. Oui, c’est vieux. Très vieux. Cette tragédie raconte, chose rare à l’époque, un événement contemporain : la défaite cuisante des Perses face aux Grecs à la bataille de Salamine. Attention toutefois : ce n’est pas la première pièce jamais écrite. Des auteurs comme Thespis ou Phrynichos l’ont précédé, mais leurs œuvres n’ont pas traversé les siècles. Les Perses, elle, est la plus ancienne qui nous soit parvenue dans son intégralité. Une sorte de fossile littéraire… mais avec des chœurs.

C’est Aristote qui, au IVe siècle av. J.-C., s’est amusé à décortiquer le théâtre comme un mécano d’émotions humaines. Dans sa Poétique, il définit les règles de la tragédie idéale : unité d’action, personnages nobles, et surtout cette fameuse catharsis, cette purge émotionnelle que le spectateur doit ressentir en assistant à la chute des héros. Pour lui, le théâtre n’est pas juste un divertissement, c’est une machine à penser et à ressentir. Bref, Aristote, c’est un peu le premier critique dramatique de l’histoire — sauf qu’on le cite encore 2 300 ans plus tard.

Voici une petite galerie de stars de la scène… version Grèce antique :

  • Eschyle (525–456 av. J.-C.) : le pionnier. Il pose les bases de la tragédie, introduit un deuxième acteur sur scène (révolution à l’époque !) et signe Les Perses, Les Suppliantes, L’Orestie. Il voit le théâtre comme un outil moral et politique.
  • Sophocle (496–406 av. J.-C.) : le maître du drame humain. Il ajoute un troisième acteur (encore une claque pour les spectateurs) et nous laisse Antigone, Œdipe Roi ou Électre — des pièces où les destins sont aussi écrasants que les dieux eux-mêmes.
  • Euripide (480–406 av. J.-C.) : le rebelle. Il bouscule les codes, donne une voix aux marginaux, aux femmes, aux esclaves. Moins dans la déférence, plus dans le doute. Médée, Les Troyennes, Hippolyte en témoignent.
  • Aristophane (vers 450–vers 385 av. J.-C.) : le comique du groupe. Il manie satire et provocation dans des pièces comme Les Guêpes, Lysistrata ou Les Nuées. Rien n’échappe à sa plume, pas même Socrate ou les politiciens d’Athènes.

Chacun à sa manière a jeté les fondations du théâtre occidental. Sans eux, pas de Molière, pas de Shakespeare… et peut-être pas de Netflix non plus.

🎭 Pour en savoir plus

Envie d’en savoir plus sur les origines du théâtre, là où tout a commencé, entre masques, dieux en colère et chœurs en transe ? Plongez dans les coulisses du théâtre antique avec mon article intitulé « Le chant du bouc ».

Le Moyen-Âge : période souvent oubliée

Au Moyen Âge, le théâtre renaît sous l’aile protectrice de l’Église. Pour instruire les fidèles, souvent illettrés, on commence à jouer des scènes tirées de la Bible dans les églises, puis sur les parvis. C’est l’âge d’or des mystères, miracles et moralités, grands spectacles religieux portés par des confréries, parfois joués sur plusieurs jours. Mais dans l’ombre du sacré, un théâtre plus profane et populaire fait aussi son chemin, avec jongleurs, farces et satires sociales. Entre ciel et rue, le théâtre médiéval pose les bases d’un art à la fois pédagogique, festif… et terriblement vivant.

Je dois vous dire ici que je n’en sais guère davantage sur ce théâtre médiéval, période sur laquelle mes études n’ont pas insisté. J’aurai l’occasion de développer cette partie en interrogeant des collègues médiévistes : cela pourrait faire l’objet d’un autre article.

Le XVIIe siècle, l’âge d’or du théâtre

Le XVIe siècle avait déjà soufflé un vent nouveau sur les planches européennes. La Renaissance, avec son goût retrouvé pour l’Antiquité, a instauré un renouveau des idées et des formes. Dès le XVIe siècle, le théâtre sortait des églises et des fêtes populaires pour investir les salons aristocratiques et les premiers théâtres publics. Mais c’est véritablement au XVIIe siècle que le théâtre français entre dans sa période la plus brillante, souvent qualifiée d’âge d’or.

Pourquoi cet âge d’or ? Parce que le théâtre devient progressivement un art codifié, réfléchi et soutenu par le pouvoir. Les doctes — ces savants passionnés par la littérature antique — se penchent sur les règles du théâtre : unité de temps, de lieu, d’action, vraisemblance et bienséance. Ce cadre, posé avec rigueur, donnera naissance au fameux théâtre classique.

Dans ce contexte, le théâtre bénéficie d’un appui royal sans précédent. Louis XIV, le Roi Soleil, grand amateur de spectacles, fait du théâtre un outil de prestige politique. La Cour devient un haut lieu de représentations fastueuses, tandis que l’Hôtel de Bourgogne, la première salle permanente de Paris, attire un public de plus en plus large.

Sur ces scènes éclatent les chefs-d’œuvre de Corneille, Racine et Molière. Corneille, avec ses héros d’une grandeur presque divine (Le Cid), Racine, maître du tragique intime (Phèdre), et Molière, roi de la comédie sociale (Le Misanthrope, Tartuffe), incarnent l’excellence du théâtre classique.

  • Pierre Corneille, souvent appelé le « père du théâtre classique français », a véritablement marqué les esprits avec Le Cid, créé en 1637. Cette pièce, inspirée d’une légende espagnole, met en scène Rodrigue, tornade de devoir et d’honneur, tiraillé entre l’amour passionné et la loyauté familiale — un cocktail explosif qui a enflammé les théâtres et les débats littéraires de l’époque.
  • Jean Racine est le maître incontesté de la tragédie classique, celui qui explore avec une finesse psychologique rare les passions humaines et leurs tourments. Parmi ses œuvres les plus célèbres, Andromaque (1667) tient une place toute particulière : c’est un drame intense où s’entremêlent amour, vengeance et fatalité, sur fond de guerre et de ruines. Racine y dépeint des personnages pris au piège de leurs désirs impossibles, avec une économie de mots et une poésie qui coupent le souffle. Aux côtés d’Andromaque, ses chefs-d’œuvre comme Phèdre ou Britannicus confirment son talent pour faire vibrer la langue française au rythme des conflits intérieurs les plus déchirants. Chez Racine, le théâtre devient une lente descente dans les abîmes du cœur humain — aussi cruel que magnifique.
  • Molière, Jean-Baptiste Poquelin de son vrai nom, c’est un peu le génie du rire et de la satire au XVIIe siècle. Avant de signer des chefs-d’œuvre classiques comme Le Misanthrope ou Le Tartuffe, il a commencé par des farces et comédies plus légères, parfois même un brin burlesques, qui visaient à faire éclater les travers humains sans détour. Mais c’est dans ses grandes comédies classiques, mêlant finesse psychologique et critique sociale, que Molière déploie tout son art : il décape les hypocrisies, les vanités et les faux dévots avec un humour toujours mordant. Bref, Molière, c’est le maître qui nous fait rire… tout en nous regardant dans le miroir.

Mais attention, ces trois géants ne sont que la partie émergée d’un iceberg théâtral. Derrière eux, une foule d’auteurs moins connus mais tout aussi importants comme Jean de Rotrou ou Pierre Mairet explorent des formes plus libres et souvent plus flamboyantes. C’est le temps du théâtre baroque, un style encore plus débridé, coloré, où l’exubérance précède et prépare la rigueur classique.

En somme, le XVIIe siècle ne se contente pas d’être un simple âge d’or, c’est un véritable carrefour artistique où la tradition antique dialogue avec l’innovation !

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Le XIXe siècle, laboratoire du renouveau

Au XVIIIe siècle, le théâtre poursuit l’héritage classique du XVIIe tout en ouvrant de nouvelles voies. La tragédie est notamment incarnée par Voltaire, même si ce n’est pas son théâtre qui est le plus passé à la postérité. La comédie garde son charme avec Marivaux, maître des subtilités sentimentales, et Beaumarchais, provocateur génial avec Le Barbier de Séville et Le Mariage de Figaro, véritables tournants sociaux. Parallèlement, émerge le drame bourgeois, qui rompt avec la noblesse tragique pour mettre en scène les conflits de la vie quotidienne, incarné par des auteurs comme Sedaine et Mercier. Ce siècle prépare ainsi le théâtre moderne, plus proche des préoccupations du peuple et des tensions sociales.

Au XIXe siècle, le drame romantique bouleverse les codes classiques en mêlant le grotesque et le sublime, le comique et le tragique, suivant en cela des voies lancées à l’étranger par Shakespeare dont se réclame notamment Victor Hugo. Le Théâtre de Clara Gazul, recueil de petites pièces de Prosper Mérimée, peut se lire comme une sorte de laboratoire où le drame romantique se cherche, teste plusieurs voies, entre peinture de sentiments exaltés et scènes presque caricaturales.

Victor Hugo est l’un des maîtres du drame romantique, qu’il pratique avec des pièces comme Ruy Blas, et qu’il théorise dans ses préfaces, notamment la préface de Cromwell qui pose les bases du drame romantique. Son théâtre suscite l’incompréhension des tenants du classicisme, comme en a témoigné la fameuse « bataille d’Hernani« , avec des échanges assez violents entre classiques et romantiques lors de la première représentation de la pièce.

Enfin, il y a Lorenzaccio d’Alfred de Musset, que je considère comme le chef-d’œuvre absolu du drame romantique — et pourtant, il dépasse largement ce cadre. Complexe, ambigu, entre intrigue politique et quête intérieure, Lorenzaccio incarne la profondeur et la modernité qui annoncent le théâtre contemporain. Publié en 1834, il n’est mis en scène pour la première fois qu’en 1896, la même année qu’Ubu Roi. Longtemps réputée injouable, la pièce présente une foule de personnages, dans une Florence que Musset a su rendre très vivante. Je suis persuadé qu’aujourd’hui, à l’heure où des adaptations cinématographiques comme Le Comte de Monte-Cristo connaissent un énorme succès, une version cinéma de Lorenzaccio pourrait prouver que cette pièce est extrêmement moderne, à condition que ça soit bien fait !

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Le XXe siècle, théâtre de tous les possibles

Le théâtre français du XXe siècle est un véritable kaléidoscope d’expériences, où tradition et avant-garde s’entrechoquent pour bousculer les certitudes. On quitte les grandes fresques historiques et les tragédies classiques pour explorer les méandres de l’absurde avec des figures comme Samuel Beckett et Eugène Ionesco, qui questionnent le sens même de la communication et de l’existence. Mais le siècle n’oublie pas les héritages : Jean Giraudoux, Jean Anouilh ou Marcel Pagnol continuent à faire vibrer la langue et les passions dans des registres plus classiques ou poétiques. Parallèlement, le théâtre politique, engagé, se fait entendre avec des auteurs comme Bertolt Brecht (bien que germanophone, son influence en France est immense) ou Jean Genet. Le XXe siècle est aussi celui de la décentralisation théâtrale et de la remise en question des formes, avec la montée des troupes indépendantes et des mises en scène expérimentales. Bref, un siècle où le théâtre se réinvente sans cesse, oscillant entre spectacle, réflexion et quête d’un nouveau langage.

🎭 Pour en savoir plus

  • Attendons Godot avec Beckett : plutôt qu’une banale présentation de cette pièce qui est l’une des plus connue du XXe siècle, je commente avec vous un passage qui vous montre toute l’originalité de l’écriture de Beckett.
  • « On ne part pas, on ne revient pas » est une pièce étonnante d’Hélène Cixous, connue pour son engagement féministe et son écriture poétique et inventive.
  • « Cinq bonnes raisons de lire Genet » : si vous ne connaissez pas le théâtre de Genet, je vous donne cinq bonnes raisons de vite pallier cette lacune !
  • Connaissez-vous Koltès ? Un dramaturge contemporain incroyable, qui fait le renouveau de la tragédie avec des thèmes contemporains. Une œuvre sublime.
  • Dans « Le théâtre d’aujourd’hui », je m’inspire d’un des cours que j’avais donnés à la fac. Je commence là où s’arrêtent ordinairement les livres d’histoire littéraire, dont le dernier chapitre est « le théâtre de l’absurde ». Mais ça, c’était les années cinquante ! Et depuis ? Je parcours la deuxième moitié du siècle, avec à l’appui un précieux livre de Jean-Pierre Ryngaert.

Du souffle des tragédies antiques aux éclats subversifs de l’époque contemporaine, le théâtre occidental n’a cessé de se réinventer avec les époques, d’en porter les espoirs et les contradictions sur scène, pour susciter le rire, l’émotion ou la réflexion. Bien entendu, raconter tout cela en un seul article est une gageure, et je suis bien conscient d’avoir fait des raccourcis, des impasses et des simplifications. Mais je vous renvoie, tout au long de cet article, à d’autres articles plus détaillés, qui vous permettront de redécouvrir mes articles sur le théâtre. J’espère que vous y trouverez matière à réflexion !


LittPO.fr (Littérature Portes Ouvertes) est un blog littéraire animé par Gabriel Grossi, docteur ès lettres, professeur des écoles et passionné de poésie contemporaine. Ce site offre une exploration riche et accessible de la littérature française et étrangère, en mettant l’accent sur la poésie contemporaine, mais sans oublier les autres genres et les autres époques. À travers des rubriques variées telles que Le poème d’à côté, Les Entretiens, Citation du dimanche et ÉduPO, LittPO.fr propose des analyses, des découvertes d’auteurs contemporains, des ressources pédagogiques et des réflexions sur la langue et la culture. Le blog s’adresse à un large public, des amateurs de littérature aux enseignants, en passant par les étudiants et les curieux de la poésie vivante.

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2 commentaires sur « L’histoire du théâtre en dix minutes »

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