Le frioulan et le niçois

Avec la chute de l’Empire romain, le latin littéraire ne s’est maintenu que chez une poignée d’érudits, au sein des monastères qui étaient de véritables oasis de culture. Le latin populaire, lui, s’est rapidement altéré en différentes langues vulgaires qui ont peu à peu donné nos langues romanes : le français, l’italien, l’espagnol castillan, le catalan, le portugais, le roumain sont les principales. Mais il a également engendré des langues parlées plus localement. Je vais vous parler aujourd’hui de deux d’entre elles : le niçois, qui est le parler local de la région où j’habite, et le frioulan, qui est celui de la région natale de mon compagnon.

Aire géographique

Le niçois est parlé dans la région que, depuis son annexion à la France, on appelle le Comté de Nice, mais qui n’a jamais été vraiment un comté, puisqu’il n’y a jamais eu de seigneur ayant le titre de comte de Nice. Avant 1860, la région appartenait au Royaume de Piémont-Sardaigne, et avant cela, au Duché de Savoie. Cette région comprend Nice et son arrière-pays. Elle est délimitée par la mer Méditerranée au sud, le fleuve Var à l’ouest, la chaîne du Mercantour au nord, et la frontière italienne à l’est.

La frontière du fleuve Var est importante. Mon père, qui savait un peu de nissart, me disait qu’il y avait des différences entre le niçois parlé à Nice et le cagnencq parlé à Cagnes. Cela peut sembler étrange pour deux villes si proches, mais il ne faut pas oublier qu’une frontière les séparait.

Le frioulan, quant à lui, est parlé de l’autre côté de l’Italie, dans une partie de la région administrative appelée Friuli-Venezia-Giulia. Il est essentiellement parlé dans la province d’Udine. La capitale historique du Frioul est le beau village de Cividale dei Friuli.

Typologie linguistique

Les deux langues sont des langues indo-européennes et, plus précisément, des langues latines.

Le niçois fait partie de la famille des langues occitanes, ce qui ne veut pas dire qu’il dérive de l’occitan : il vient directement du latin, comme le provençal qui est une autre langue de la famille occitane. Le mot « occitan » vient du mot « oc » signifiant « oui », par opposition aux langues d’oïl. Dante Alighieri distinguait ainsi les langues d’oïl, les langues d’oc et les langues de sì.

Le frioulan (ou furlan en frioulan) est une langue rhéto-romane, comme le romanche et le ladin. Cette famille linguistique correspond à la Rhétie, une province romaine marquée par de nombreuses invasions barbares, située entre la Suisse et le nord de l’Italie.

Statut

Le frioulan est classé comme une langue en danger par l’Atlas des langues en danger dans le monde. Il bénéficie pourtant d’un certain soutien institutionnel (langue officielle de la région, enseigné dans les écoles).

Le niçois est aujourd’hui enseigné dans certaines écoles, assez peu nombreuses au demeurant. Ce soutien est assez récent, après des siècles de rejet des langues régionales. La langue de la République demeure le français et seulement lui, fondant l’unité de la Nation. Certains passionnés tentent de le faire vivre, avec des publications comme la revue Lou Sourgentin de Roger Rocca.

Récemment, une anthologie de poésie serbo-niçoise, réalisée par Boris Lazić, et dans laquelle j’ai eu l’honneur de publier deux poèmes, a ainsi mis en avant des poètes français qui s’expriment en nissart, et je trouve que c’est une excellente initiative.

Quelques mots et expressions dans les deux langues

Si le niçois est aujourd’hui très peu parlé, même dans les ruelles les plus typiques de la vieille ville, en revanche les Niçois vont volontiers insérer des mots niçois au sein d’une conversation en langue française. (Je précise que je les écris comme je les prononce, et non comme ils s’écrivent.)

Ainsi, ma grand-mère me disait souvent « Mets-toi un capéu » lorsqu’il faisait chaud l’été. Mon grand-père me disait parfois « Alloura ? » (Alors ?) pour me demander comment j’allais. Certains mots survivent ainsi par leur maintien au sein d’une conversation en français : un pichoun (un enfant), une estrasse (un torchon), un gari (un rat), un tafanari (un abruti, littéralement le cul), un chiapacan (un vaurien, littéralement un attrapeur de chiens)…. Cependant, mes grand-parents ne m’ont jamais dit Baieta (Bisous !) pour me dire au revoir.

Quelques phrases populaires sont pleines de mordant : Va ti negà au Pailloun (Va te jeter dans le Paillon !) est une très savoureuse façon d’envoyer paître. J’aime bien aussi « Tanta Chiquetta es pas luen », littéralement « Tata Chiquette n’est pas loin », pour dire d’une personne que la mort ne va pas tarder à la récupérer. Ces deux phrases, je les tiens de mon père, qui aimait le nissart et avait lu plusieurs livres sur le sujet (dont un dictionnaire).

En frioulan, j’ai feuilleté la méthode Assimil pour vous proposer un petit choix d’expressions.

  • Bundì (Bonjour !)
  • Cemût ? / Cemût staial ? (Comment allez-vous ?)
  • Mandi (Porte-toi bien !)
  • Ariviodisi ! (Au-revoir !)
  • No ai capît (Je n’ai pas compris)
  • Graciis (Merci !)
  • Va a trai ! (Va voir ailleurs si j’y suis !)

En feuilletant ce petit livre, j’ai pu me rendre compte que, lorsque l’on a de bonnes notions d’italien, de latin et de français, le frioulan écrit ne paraît pas impénétrable. Beaucoup de mots se ressemblent vraiment. Mais je pense que ça doit être tout autre chose à l’oral, avec le débit des gens. Ainsi, j’ai eu plusieurs fois l’occasion d’entendre du portugais grâce à l’association Brazil Azur dont j’ai été membre, et je n’y comprenais strictement rien, pas un mot. En revanche, à l’écrit, je ne pouvais pas traduire mais je pouvais au moins dire de quoi ça parlait.

Les langues régionales sont un patrimoine précieux qu’il ne faut pas perdre. Cependant, il ne s’agit pas de les cultiver dans un sens régionaliste, chauvin voire indépendantiste. L’ouverture sur l’autre me semble au contraire essentielle. La connaissance de sa propre culture donne un meilleur accès à celle des autres. En ce sens, il faut, je crois, souligner la parenté linguistique des langues romanes. Étudier ces proximités, c’est devenir capable de comprendre des locuteurs de très grandes parties du monde. En ce sens, l’enseignement des langues régionales ne doit pas être déconnecté de celui du latin.

Je voudrais terminer cet article en rendant hommage à des amis qui sont aussi des lecteurs assidus de ce blog, et qui sont d’excellents connaisseurs du niçois. Mes collègues Hervé, de l’école de Tourrette-Levens, et Laurent, de l’école Michelis à Saint-Laurent-du-Var, ne manqueront pas, je le sais, de faire une lecture attentive de cet article, et j’espère qu’ils n’y trouveront pas trop de bêtises. Baieta !


Image d’en-tête : ChatGPT.


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Un commentaire sur « Le frioulan et le niçois »

  1. Le niçois ou nissart fait partie « des langues occitanes », peut-on lire dans l’article. Officiellement il n’existe qu’une langue appelée administrativement (ministères de la Culture et de l’Education nationale notamment) occitan-langue d’oc. Elle se décline naturellement en divers dialectes. Il existe cependant, de la part, notamment, d’une partie des Provençaux, une volonté de considérer que le provençal est une langue à part entière et non un dialecte occitan. Passons là-dessus. A noter que l’occitan est aussi une langue « internationale » puisqu’elle est également la langue du Val d’Aran en Espagne, des Vallées Occitanes d’Italie… et même de Monaco.

    Une remarque aussi sur cette affirmation : « l’enseignement des langues régionales ne doit pas être déconnecté de celui du latin ». Si cela semble pertinent pour les langues « régionales » d’origine latine, ce l’est forcément beaucoup moins pour les autres : breton, flamand, alsacien, basque, langues du Pacifique, etc.

    Mais en tout cas merci pour cet article qui rappelle l’existence de notre diversité linguistique, cruellement en danger.

    Et pour terminer, en revenant au nissart et ce qui reste vivant en lui, je suggère de découvrir la chanteuse Zine, qui justement utilise la langue niçoise.

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